• Fond sonore : [ Mogwai - White Noise ]

    12 Novembre 2014, 10H30/21H.


    Il est 20H47 ce 12 Novembre quand sonne le téléphone sur le bureau de Marcelin. Quand il décroche, une voix stridente occupe la ligne en un agglomérat confus de mots hurlés. Haussant le ton, il tâche de transmettre à son interlocutrice un message simple. "CALMEZ-VOUS !" Elle semble entendre, car la voix s'étouffe en un sanglot bruyant qui perd en hystérie mais gagne en clarté sur la ligne. La dame, voix jeune, s'exprime à présent sur un ton absent et déclare qu'une personne est inanimée ou morte, Marcelin comprenant à la volée que c'est un homme, qu'il est dévêtu et blond, qu'il est dans un lit et qu'il n'y a pas de sang entre autres détails surgissant de la terreur de la fille en état de choc. Plusieurs fois il tente d'interrompre la jeune femme, mais le flot de paroles est aussi difficile à endiguer que le Gulf Stream au moins, et menace à tout instant de revenir à l'état d'orage de confusion et de bruit. Il note en sténo tout ce qui le frappe en terme de détails utiles ; tout à coup le son s'étouffe dans un froissement, il comprend que le combiné a dû tomber - probablement sur le lit - mais la voix continue, de plus en plus heurtée, étouffée. Il pense à raccrocher, quand ses yeux tombent sur l'affichage du numéro de sa correspondante. Il le reconnaît. C'est le numéro de domicile personnel de son collègue, Constantin Chassepot. Marcelin raccroche en gueulant, bouscule une pile de dossiers et quitte son bureau en trombe. Bang-Bang...


    10H30 - Cette fois c'est Marcelin qui s'y colle ; il faut admettre que la théorie de son collègue, si juvénile qu'il fût, est la seule sur laquelle travailler en attendant les résultats de l'appel à témoins. Par ailleurs le propriétaire de la boutique possède une camionnette, ce qui constitue une vérification nécessaire, une occasion de mettre la pression sur un suspect - si la visite de Chassepot a fait tiquer le propriétaire de la boutique, l'interrogatoire pourrait déclencher des réactions de panique révélatrices, au cas où l'on douterait toujours.

    En fait de panique, c'est plutôt l'étonnement qui préside aux réactions de l'individu ; oui, il connaissait le vieil homme. Non, il l'avait pas vu récemment, en tout cas pas le week-end précédant sa mort. En revanche il connaît un site où la victime aurait pu se rendre - confirmation implicite des déclarations de Géraldine Ronsard, mais ils ont pu mettre au point ensemble l'histoire et le policier se méfie encore.

    "Vous pouvez m'indiquer cet endroit ?
    -Bien sûr ! Il s'agit d'un champ à quelques kilomètres au Sud-Ouest d'Orléans ; le propriétaire a donné bien entendu son accord.
    -Pour ? Une prospection archéologique ?
    -Non, non, pour qu'on puisse entrer sur la propriété et chercher les objets perdus.
    -Oui, oui, j'imagine. Vous n'y étiez pas dimanche ?
    -Non, j'étais en famille pour le week-end à Vierzon.
    -Bien, nous vérifierons si nécessaire. Il nous faut savoir d'autres petites choses ; cela vous dérangerait de me confirmer votre emploi du temps pour les deux jours suivants, disons aux environs de 21H ?"

    En début d'après-midi, Chassepot et lui échangent leurs points de vue dans le bureau qu'ils partagent au département de la police criminelle.

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  • Fond sonore : [ Mogwai - San Pedro ]

    10 Novembre 2014, 17H.

    La rousse le regarde en plissant les yeux, puis sourit - avec un temps d'arrêt.

     "Oui, ce sont des détecteurs à métaux. Pourquoi ?
    -Je me demandais...si je pouvais m'en procurer un. Vous savez, pour débarrasser mon jardin des vieux bouts de métal, ce genre de choses...
    -Bien sûr ! Nous avons plusieurs gammes de prix.
    -D'accord. Mais, euh...c'est légal ? Il ne me faut pas un permis, par exemple ?
    -Pas pour l'achat, non. En revanche la loi exige que vous demandiez une autorisation si vous voulez vous en servir chez quelqu'un. Tout le monde ne le fait pas, remarquez, mais...c'est mieux. Et, si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce qui vous amène à vouloir acheter un détecteur ?
    -Oh, euh...c'est juste un ami qui m'en a parlé. Il n'habite pas très loin, et...
    -Qui est-ce ? Nous le connaissons peut-être ?
    -Oh, je ne crois pas...

    Chassepot donne le nom du vieil homme et s'en veut aussitôt mais la gaffe est faite. La jeune femme le regarde d'un oeil soupçonneux, puis baisse la tête. Quand elle lui fait face à nouveau son regard est sombre et de la colère s'y lit en gros caractères.

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  • Fond sonore : [ Crippled Black Phoenix - We Forgotten Who We Are ]


    10 Novembre 2014, 13H.

    Au début de l'après-midi suivant en terrasse de la Brasserie de Loire, l'affaire a quelque peu progressé. Le rapport du légiste y est pour beaucoup, et Marcelin pour pas grand-chose - pour le moment. Constantin Chassepot n'a guère de raison d'être fier, mais tout en soignant sa digestion il se dit qu'il y travaille. Le reste de la journée sera laborieux, ennuyeux à mourir, fructueux sans doute aussi avec un poil de chance... Plus tôt dans la matinée, Chassepot et Marcelin faisaient le point autour d'un café après une courte nuit.

    "Voilà ! Noir, sans sucre... L'autopsie est faite, Votre Seigneurie ?
    -Elle devrait, Chassepot. Je suggère que nous allions botter les fesses du docteur sitôt la fin de cette cafetière.
    -Au fait, qui nous a prévenu ? La femme de ménage ?
    -Un peu après 20h ? Non, c'est une étudiante qui prenait des cours de rattrapage avec le bonhomme qui s'est inquiétee ; depuis deux jours il ne répondait ni aux coups de sonnette ni aux appels, mais sa voiture était devant le garage.
    -C'est exemplaire, d'habitude c'est après plusieurs semaines que les gens s'étonnent. Il était prof ?
    -D'Histoire, à la retraite. Niveau collège, mais apparemment c'était une sorte d'érudit local, un passionné de 1870 justement. Il devait tenir votre aïeul en grande estime, héhé... Bang ! Bang !

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  • Fond sonore : [ The Black Angels - Holland ]

    9 Novembre 2014, 21H.



    Le téléphone déchire le silence du salon ; Constantin Chassepot rampe hors de sa somnolence et franchit le canapé d'un bras qui lui paraît sans fin.
    "Chassepot ?
    -Oui, oui. Je suppose que c'est...
    -Un meurtre, ouais. A priori. Ramenez-vous au 25, Rue des Tamarins.
    -Je...ok"
    Dix minutes après l'appel, Constantin roule à travers la ville. Orléans défile et s'efface derrière les phares, il n'y a jamais d'heure pour ces choses-là. Il le savait, quand il a passé le concours. Ce n'est pas sa première affaire, mais c'est la première fois qu'on le sonne en pleine nuit - un coup à prendre. Il freine en catastrophe quand deux agents surgissent dans le brouillard gras, un gyrophare dans leur dos - l'ambulance.

    "On vous attendait, c'est à l'étage. Marcelin est en haut avec les gars du légiste"
    Un petit pavillon sans âme, une haie touffue qui dissimule à moitié la sonnette ; Chassepot passe en trombe sans avoir le temps de lire le nom sur l'étiquette. Deux pièces vides. Dans l'escalier, encore un planton qui lui indique le chemin, hagard. Hé bien, ça doit être sale comme scène de crime pour que tout le monde fasse la gueule...

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  • Je ne vous contredirai pas sur le thème des responsabilités ; on récolte ce qu'on a semé, quoi qu'il arrive. Le plus difficile est de s'en rendre compte et et d'admettre que si on ne l'avait pas voulu, au fond, on ne l'aurait pas fait. C'est un peu plus dur que d'admettre qu'on est un con, certes ; mais par orgueil et sous l'impulsion d'un amour immodéré pour mon subconscient, j'ai tendance à croire que c'est beaucoup plus honnête. Bref, puisqu'il s'agit d'honnêteté, autant vous le dire tout de suite : tout ceci n'est, finalement, qu'une vaste affaire de masturbation. Intellectuelle sans doute, pas forcément spirituelle, mais c'est comme ça. Ce n'est pas que j'aie trouvé ce coin de jardin particulièrement excitant, non ; j'avais juste pris l'habitude de m'y rendre parce que c'était caché et sombre, parce qu'il n'y avait pas d'eau pour me renvoyer mon image ni de fenêtre pour la contempler. Piteuse vision d'ailleurs pour le malheureux importun, c'est un spectacle à mon avis très surévalué sur la plupart des sites dédiés. Pour être clair, j'avais creusé un trou dans le sol pour y enfouir le prix de mon ennui viscéral - ou devrais-je dire pour débarrasser l'avenir d'autant de risque de voir mon génome se transmettre par la voie normale. C'eût été sans nul doute au détriment de la naïveté virginale d'une potentielle compagne un peu trop disposée à donner leur chance aux Miens et à en assumer, au minimum, la moitié des conséquences ; indulgence coupable à laquelle je croyais pouvoir couper court. Après tout, être une fin de race, c'est une lourde responsabilité : on ne peut pas laisser n'importe qui prendre le risque d'en générer une nouvelle, comme ça, juste en prenant son pied au prétexte que c'est l'Amour, et que Dieu dans son infinie sagesse nous autorise à le faire avec n'importe quelle personne physiquement apte et moralement consentante - oui, on peut être irresponsable et gentil, en tout cas j'y crois très fort. Une fois l'acte accompli, je rebouchais la tombe du mieux possible avec mes doigts terreux d'une main, remontant mon pantalon de l'autre avec dignité. Un sentiment de devoir accompli m'envahissait, surfant sur une longue vague de lassitude post-extatique et un taux beaucoup moins durable d'endorphines en pleine explosion - cueille l'instant, car rien ne dure toute une journée. Je pouvais ensuite laisser courir mon imagination dans de verts pâturages, partir en balade jusqu'au coucher du soleil, et observer le monde sans l'agressivité du conflit sexuel opposant de manière perpétuelle l'homme à son environnement proche. Aucune envie de tuer les renards voleurs de poules, aucune envie de construire des châteaux et des tours ou d’abattre les moulins, non, la Paix Intérieure, le calme, la volupté...puis le sommeil.

    Et puis j'ai constaté, un jour ou plutôt un soir, sous la lumière rasante du crépuscule, comme un renflement dans la terre humide. Une légère tumescence du sol, comme si j'avais finalement abusé de la capacité de la Terre Mère à absorber ma peur et mes coupables émissions organiques. Je pris cela pour un signe que, peut-être, j'avais atteint les limites d'un fonctionnement obsessionnel routinier, et choisis d'envisager une pause, un arrêt occasionnel et temporaire à mes actions responsables et solitaires. Un peu plus de force intérieure, un peu moins d'observation fantasmée de la part féminine de l'Univers ? Tout ça paraissait dans mes cordes. J’écrêtai tout de même le monticule de terre pour en faire disparaître le poids sur ma conscience, et restai sur cette bonne résolution. Sur la béquille, quoi. Cependant, ça ne pouvait durer toujours ; j'y revins au bout d'un moment, persuadé que mon effort méritait récompense et qu'après tout ce temps, quand même, la Nature compatissante aurait passé l'éponge. Le monticule n'était pas revenu ; mais à ma grande surprise, une pousse verte avait surgi du sol, garnie de petites feuilles qui se déroulaient timidement sous le soleil automnal. C'est une farce, me dis-je ; une manière pour Gaïa de me faire comprendre qu'il fallait compenser ce gâchis par la croissance d'une plante aux racines purificatrices qui puiserait dans le sol fécond l'excès de sel minéraux dont je l'abreuvais trop souvent. J'ai compris plus tard mon erreur, et la grande désinvolture avec laquelle j'avais considéré l'aspect lexical de la chose m'apparaît aujourd'hui pleinement. Sur le coup, ça n'a pas fait mouche.

    J'ai continué à venir ; mais bien sûr ça n'était plus pareil. Je ne pouvais plus faire ce que je ne cessais de faire auparavant, c'était exclu, complètement impossible - comme une impression de culpabilité, quoique la raison m'en paraisse obscure encore. Je percevais confusément l'idée de conséquence, comme un cap franchi, l'impossibilité d'annuler le passé qui rendait bizarrement toute perpétuation, toute continuation vaine, inutile, dépassée. je me refermais, devenais étanche de l'intérieur. Je regardais grandir la pousse de jour en jour ; et ça comblait le vide et ça meublait le temps, c'était important. Mon esprit n'était plus aussi libre après, mes promenades étaient plus longues et bien moins rassurantes. Je tremblais dans les passages sombres ; dormir devint une hantise. Du plus profond de l'obscurité me venait un signal, une pulsation que je ne voulais pas affronter, de peur de comprendre. Je devenais zombie, vivant dehors et mort dedans. Mort de fatigue, bouffi de déni et d'angoisse. Je ne trouvais le repos qu'à l'endroit maudit du jardin où m'amenait mon vice autrefois ; mais un repos de l'âme uniquement, un blocage mécanique de la pensée, une fascination aussi incongrue que celle d'un cobra pour le musicien qui le taquine, le provoque, le possède - alors même qu'il ne perçoit presque pas la musique et ne peut la comprendre. J'en étais là, et pourtant chaque nouveau centimètre, chaque nouveau bourgeon, chaque nouvelle branche de l'arbuste m'appelait et me captivait. Quelque chose en moi écoutait, comprenait, de même que sur le tableau du Caravage, Narcisse semble écouter et comprendre la parole muette de son reflet dans les eaux du fleuve. Un reflet obscur et mesquin, ou plutôt une caricature, une version différente de lui-même plus noire, plus acérée que l'original. Son démon personnel auquel tout l'oppose et le relie à la fois, tandis qu'entre eux se dresse un genou qui ne peut en être un, monstrueux, phallique, obscène. C'est ainsi que m'apparut la vérité. Je ne voulus d'abord pas l'admettre ; pourtant chaque regard, chaque moment passé à voir grandir cet arbre venait m'en convaincre un peu plus. Il était là, mon crime. Il était là, croissant de jour en jour, forfait commis à l'égard de la Nature ; né de la peur d'engendrer des monstres, il en avait fait naître un plus ignoble encore, fruit de ma seule horreur et du terreau fertile de la terre-matrice. Je m'étais planté, graine après graine, perpétuant mon erreur et mon aveuglement jusqu'à leur faire prendre vie - et à présent grandissait mon fils accusateur, alter-égo végétal qui chaque jour me dévorait d'un regard d'autant plus déroutant qu'il avait le mien. La part de sa mère, la nôtre à tous, ne m'était d'aucun réconfort ; elle n'était en effet que matière, que chair, ligneuse et tendre, verte, cassante. Aucune âme, juste un corps de bois grandissant comme un mensonge, le nez d'un Pinocchio sans même le mirage rassurant d'une forme humaine. Aucune fée n'en ferait un homme vivant, de cette chose qui n'était pas non plus vraiment un arbre. Une chimère tout juste, odieuse et accablante pour son créateur inconséquent.

    Que pouvais-je faire après ça ? Je vous l'ai dit, ce qu'on a semé, on le récolte ; le geste du semeur fût-il auguste ou vil, qu'importe. J'avais donné la vie sans l'aide de quiconque ; et j'obtenais logiquement une image de moi-même, contrefaite et bancale, incapable de faire autre chose que grandir et grandir encore, jusqu'à sécher sur pied ou bien s'écrouler sous les assauts des vents - à moins que la colère des cieux ne l'abatte d'un coup de tonnerre furieux avant qu'il n'ait assez grandi pour crever les yeux des anges. Non, je ne pouvais décemment laisser s'accomplir ce destin lamentable, je ne pouvais pas risquer de provoquer ainsi l'Univers en laissant ses lois ouvertement bafouées par le résultat de mon inconséquence onanique. Je pris donc la seule décision saine et logique ; elle impliquait le sacrifice de mon âme, enfin, de ce qu'il en restait, mais elle me rendait du même coup la tranquillité et clôturait définitivement l'épisode maudit de cette conception maculée, pollution diurne du giron sacré de la terre dont aucune souillure, de quelque nature que ce soit, ne doit jamais plus être tolérée. Cet arbuste, je l'ai donc arraché de mes propres mains ; ce que j'en ai fait, personne ne le saura. Mais je l'ai emmené au fond des bois les plus sombres et les plus touffus, et ce qui s'est passé là jamais ne sera connu du monde civilisé.  Cela vaut mieux pour ma conscience et pour le bien de tous. Ne cherchez pas à savoir ; de nous deux, moi seul étais capable de parler, moi seul sortis au matin de ce bois. Et je ne dirai rien, même à toi. Il faut à présent que l'Oubli tombe sur tout ça, et que personne, jamais, ne retrouve le chemin que j'ai fait là-bas sous la canopée imperméable à toute lumière. J'ai rendu la voie impraticable ; j'en rendrai le souvenir impossible à rappeler sitôt cette confession vouée au néant et au vide, enfouie au sein d'une Nouvelle Bibliothèque d'Alexandrie. J'en étoufferai toute mémoire à grands renfort d'ivresse et de temps, et plus personne, si ce n'est le hasard cruel, ne fera ressurgir cette histoire qui, modestement, touche à sa fin.

     (voir le tableau du Caravage : --> Narcisse)

     

    Gat'.


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