• Fond sonore : [Black Mountain - Night Walks]

    Depuis le début, c'est pareil : j'ai toujours été le souffreteux de la bande, la chose, 'faut pas chercher à comprendre'... Vivre, je voyais pas trop l'intérêt ; fallait pas ceci, pas cela, et la viocque elle te parle mais c'est pas à toi qu'elle s'adresse. Fallait lire entre les lignes, comprendre le texte et le sous-texte, lutter : question de survie. De sur-vie. J'étais que déviation, déviance, j'ai dévissé par principe. Rester figé au milieu des glaces, voir les gens partir et la chaleur s'envoler en petits ronds de fumée. Tousser... Bientôt, je n'ai plus su vivre sans adversité, sans contrainte, sans handicap ; je venais à l'école en short et T-shirt par -10° rien que pour choper une saloperie de bronchite, un truc qui me rende malade d'exister, qui me donne une raison de vivre, un moyen de survivre. Fallait que j'aie le sentiment de crever pour aimer être là, debout sur mes pieds au milieu de ce bordel de gens qui aiment, qui haïssent, et tout ça le plus naturellement du monde. J'aimais personne ; c'est un truc de vivants, l'amour, c'est pas pour moi, et puis ça fait fondre la neige. Sauf que mon coeur, il bouillonnait comme une cocotte minute qu'a plus de soupape, il gonflait, il ronflait comme une vieille locomotive et ça fumait dans ma tête. Alors je suis passé en mode 'sacrifice-lover' et j'ai balancé la sauce : j'ai tout donné, tout sorti de ce coeur démesurément frustré, j'ai aimé à n'en plus finir, à n'en plus rien avoir, n'en plus rien pouvoir. Jusqu'à ce que ça finisse par craquer, que le muscle claque comme un vieil élastique et revienne me donner une grande gifle. Et me voilà de nouveau perdu, dans les mêmes rues, avec le vent comme système de refroidissement de ma caboche brûlante. Sans ça, je cramerais de l'intérieur... J'ai fini par ré-apprendre à tousser ; la clope c'était pas mon truc, mais j'ai essayé de boire à m'en faire un ulcère, juste pour cracher un peu plus que de la bile, quelque chose avec un goût plus définitif. Je suis là, debout sur la rambarde, en équilibre ; une quinte, et j'envoie dans les flots bouillonnants, grossis par les pluies de l'Hiver, un glaviot venu du fond des tripes. J'espère un peu d'énormes tentacules surgissant du fond des temps pour venir m'entraîner, pantelant, brisé, expier cet affront dans les profondeurs froides et glauques sur quelque immonde pierre sacrificielle...mais non. Je reste sur le pont, moribond, sans même savoir si je tombe ; tant que je cracherai pas du sang, je me sentirai pas totalement vivant. Chienne de vie...

    Gatrasz.


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  • Fond sonore : [PJ Harvey - To Bring You My Love]

       

    T'aurais dû terminer le travail. Tu me tenais dans ta ligne de mire ; j'étais là devant toi, à genoux au bout du canon de ton flingue, avec la peur qui me déchirait les tripes. Je tremblais, tu t'en souviens, mais c'était aussi de rage. La colère impuissante, l'envie subite et irrépressible d'avoir tout à coup les mains libres, juste une seconde, et de t'attrapper à la gorge. Pourquoi ne tirais-tu pas ? Alors que je rampais sous ton regard comme un insecte répugnant, incapable de me libérer ou même de me relever pour m'enfuir. Tu ne m'avais laissé aucune chance. J'étais épuisé, vidé, décomposé ; et j'étouffais, je me noyais. Les yeux écarquillés, je me souvenais de tous les moments passés ensemble. Avant, quand je ne savais pas encore. Quand on faisait l'amour dans ce lit, là, tout près ; les draps sont encore défaits.

    Comme ça, agenouillé et les bras attachés dans le dos, j'ai le nez collé contre ta toison brune ; je peux sentir ton excitation mais pas l'odeur de la poudre. Et pourtant, il y a aussi une espèce de peur, quelque chose d'acide qui me donne la nausée. Tu n'as plus le cran d'en finir vite, tu doutes mais il est trop tard. Trop tard pour hésiter, trop tard pour prendre le temps ; ou pour espérer mon pardon. Je pourrais presque toucher ton sexe du bout de ma langue, mais l'envie m'en a définitivement quitté. Parce que tu n'as pas été assez vite, parce que tu n'as pas profité de ma stupeur pour me coller une bastos entre les deux yeux. T'as préféré reluquer ton amant pitoyable, nageant dans la sueur glacée d'une trouille sans nom face à ton revolver chargé. Les trente premières secondes, je crois que j'aurais encore pu te pardonner ; partir comme ça, d'un coup, avant d'avoir compris, passe encore. Mais non. Quelque chose t'a retenu. Peut-être voulais tu seulement que je te contemple, dans toute la puisssance sexuelle de ta posture guerrière. Ton corps tendu dans l'ombre, tatoué, brillant de sueur, et brandissant cette arme contre mon visage. La faciale se fait pourtant attendre ; c'est donc ça, tu veux jouer ? Tu voudrais que je prenne le canon dans ma bouche, l'air un peu étonné de cette nouvelle force qui t'anime et te dote miraculeusement d'un phallus métallique ? J'aimais, moi, quand tu le faisais ; ta façon de laisser en même temps ta main courir sur moi, ton air sérieux et concentré. Et les baisers que tu m'offrais, après.

    Tu y penses toi aussi, le doigt sur la gâchette : je vois bien que tu regardes vers là-bas. Ton oeil s'échappe sporadiquement, et des frissons secouent ta peau ; un peu comme si le souvenir de l'orgasme partagé tout à l'heure t'agitait encore les sens et venait te dire :
    "Non ! Rappelle-toi ce plaisir ! Tu veux vraiment sacrifier tout ça ?" Oui, je peux le lire sur ton visage suant d'angoisse : tu te rappelles toute cette intimité, cette tension sexuelle et tous nos chocs érotiques... Peut-être d'autres choses, aussi. Et ta main tremble, et le canon avec. J'ai envie de le suivre, cobra charmé par la flûte empoisonnée d'une charmeuse indécise. La tentation morbide, narguer la mort une dernière fois ; c'est ça ou devenir fou. Parce que tu attends, tu ne sais plus, tu tergiverses alors que moi, j'ai fini depuis longtemps de réciter mes prières.

    Tu en sais la teneur, tu me connais assez bien pour ça ; en fait, tu me connais même trop bien, et c'est pour ça que tu bloques. T'étais pas faite pour ça, pas prête peut-être. Et t'as foiré lamentablement, t'as les nerfs qui flanchent et bientôt tu vas hurler et ruisseler de larmes. Tu vas me menacer, m'agiter sous le nez ton flingue inutile et froid, faute d'avoir osé t'en servir. Que te répondre, finalement ?
    Rien. T'as pas su te décider, tu m'as lancé ta trahison au visage et puis tu t'es arrêtée là. T'as pris conscience soudainement de la situation, t'as réalisé que tu n'es qu'une garce infecte et ça te fait chier tout à coup. T'as pas le beau rôle, tu dois juste foutre un pruneau dans le crâne d'un type que t'as baisé pendant un moment. Et tu t'y es attachée, bêtement ; mais ça t'as pas amené à envisager d'autre solution. Tu aurais pu réfléchir, t'aurais pu m'observer des heures avec le regard perdu dans des profondeurs insondables et puis t'en aller sans un mot d'explication. Ou décider de m'embrasser, et de garder pour seuls flingues ceux que t'as tatoués sur le bas du ventre, braqués vers ce petit endroit de toi qui à présent ne m'intéressera jamais plus. Faut croire qu'ils ne t'ont pas suffi.

    T'aurais pu rattrapper le coup, en dernier recours ; sans panache, c'est sûr, mais proprement. Te ressaisir et tendre ton bras, il en fallait pas beaucoup plus. A peine une petite pression de l'index, et partir presque sereine en haussant tes jolies épaules rondes, avec le calibre brûlant dans ta ceinture, marquant ta peau d'un dernier souvenir. Une toute petite cicatrice. Mais voilà, tu n'as pas tiré. T'as préféré t'accroupir devant moi, l'air égaré, comme si t'attendais encore que je trouve une solution à tout ce gâchis. T'as laissé tombé l'arme sur le carrelage, me regardant fixement. Et je t'ai craché à la gueule... Bien sûr, tu crois que c'est à cause des menaces ; en fait
    , encore plus que le mépris, c'est juste...la frustration.

     

    Gatrasz.


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  • (Dessin : Gat'2011)

     

    "Pression des heures et de l'oubli
    Métamorphisme des ennuis
    Moi, je suis comme un goéland
    Le corps blanc et la tête grise
    Bêtises"

    (...)

    Sirène, je sombre ; profondes heures
    Rêvant de tes bras, gluants et froids.
    Prends-moi

    Brise chaque os, chaque cartilage
    Je veux l'étreinte démesurée
    Avide, j'ai envie d'exploser
    Me dissoudre en phase gazeuse
    Dans l'eau glacée.
    Désirs en décompression
    Fentes de tension


    (Je veux partir dans un orgasme explosif, immatériel, surnaturel, détruit de l'intérieur par l'esprit des profondeurs obscures. J'ai passé sur lui, sur la mer, rêvant l'image de ses rêves ; et je devine au milieu de mes souvenirs ses bras gélatineux, obscènes, qui m'ont manqué de peu. Malheureux, j'ai sans doute évité d'un banal coup de reins son embrassade ignoble. Possède moi, ()jouis-moi, met fin à l'attente et au rien qui me tente. Fais de moi quelque chose, objet de la métamorphose. Je suis à toi. Nom de Dieu, sers-toi !)


    Gatrasz.


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  • (Dessin : Gat'2011)

    Il me semble que j'ai toujours été différent ; du plus lointain qu'il m'en souvienne, je me sentais anormal, difforme, incapable de me fondre dans le moule de la société de mes petits camarades. Oh, bien sûr, de l'extérieur j'ai toujours été normal, à priori ; à quelque chose près, certes, mais rien de discernable concrètement. Et puis, parfois, j'avais mes petits succès ; mais toujours sur la différence. Une forme évoluée de cirque, en somme, "vas-y bossu, fais-nous toucher ta bosse". J'en souffrais mais je persévérais - il le fallait.

    J'ai jonglé avec ces difformités indiscibles, jusqu'à leur faire prendre des formes boursoufflées, obscènes, qui faisaient rire d'abord et dérangeaient après ; comme quelqu'un qui fait craquer ses os, d'abord par jeu et puis par acharnement, jusqu'à se démembrer sous les yeux de ses spectateurs. Explosé, dépouillé soudain de mes oripeaux d'humanité. Ce qu'ils ont vu dessous, je l'ignore ; mais ils conservaient comme un goût amer dans la bouche, un mauvais souvenir pas tout à fait digéré dont je sentais les relents jusque dans mon ventre et qui me rappelait que j'étais bien un monstre, au fond.

    Au bout d'un moment
    - forcément - le poids s'est mis à me gêner, moi aussi. Logique. Ma structure osseuse, si solide qu'elle fût, craquait peu à peu sous la masse que j'avais construite. Mais était-ce bien moi ? Ces choses avaient surgi, irrésistibles, d'une profondeur à laquelle même moi, je ne distinguais plus rien. Juste un sentiment affreux de compression de l'âme, les fissures qui craquent, qui s'ouvrent... Mais jusque-là, j'avais tenu. Et puis, tout récemment... Une nouvelle transformation s'est manifestée. Des boursoufflures physiques, excroissances douloureuses qui gonflaient dans mon dos, déplaçaient mes os, somatisations folles se cherchant un chemin dans mon organisme amorphe... J'ai d'abord pensé à une paire d'ailes ; les Anges, j'ai toujours trouvé ça suspect. Je voyais par ce destin une forme subtile de rédemption, la destruction, l'arrachement partiel du corps pour atteindre, tout pantelant, la grâce... Mais non. C'eût été trop simple, trop naïf ; ce n'était pas fini, non, on n'en était encore qu'au début du chemin de croix. Des ailes déplumées, noires, ou bien des cornes, voilà à quoi je devais m'attendre. Et pourtant... Pourtant, j'étais loin du compte. Ainsi que le murmurent les voix atones du rock gothique dont je nourris mon esprit malade, c'est une horreur bien plus diffuse, ancienne, obscure qui agit là ; au fond, sous les couches les plus profondes de la perception, à l'intérieur même du substrat intime de la personnalité. Nous ne sommes que des projections qui masquent un niveau bien plus dense et secret ; le non-maîtrisé, l'inavouable.

    Dans mon cas, je n'étais qu'une étape, un intermédiaire destiné à disparaître ; une porte à travers laquelle surgissait dans la dimension réelle...
    Celui des Profondeurs. Ses tentacules ont percé mon dos, dissous ma peau comme des moisissures, la déchirant, la dévorant comme un excédent placentaire encore conscient - accessoirement. Vivant, mais pas au sens où on l'entend normalement. Témoin en état de choc anaphylactique, emprisonné dans un résidu de corps disloqué... Bouffé.
    FIN


    Gatrasz.


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  •  

    [Cette nouvelle, je l'ai écrite pour expulser des choses qui me tourmentaient ; alors, si vous avez l'intention de la lire tout de même, je vous préviens : c'est une histoire ignoble, ça peut - m'a-t-on dit, vous dégoûter du sexe à vie. Je ne sais pas. Si vous êtes mineur, ne lisez pas ça. Si vous êtes majeur, alors vous êtes seul juge ; je vous préviens, c'est tout.
    - -> Bonne lecture<- -...ou pas]
    .


    Gatrasz.


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