• Jorinda, riche intrigante et courtisane voluptueuse, se mit un jour en rapport avec le démon Sohfel, gardien séculaire de l’Eternité du
    Temps, dans le but de conclure avec lui - comme c’est la coutume - un pacte. L'objet en était, pour elle, d'obtenir ou plutôt : de conserver les charmes et la beauté dont elle usait et disposait, à son profit, dans une dimension qu'elle n’avait pu suborner : l’Eternité.

    « C'est possible, lui dit Sohfel ; tu seras éternellement jeune, et la plus belle parmi toutes les femmes.
    _Et quel en sera le prix ?
    _Tu devras coucher avec moi »


    Rusé démon, songea Jorinda ; il veut que je porte son enfant ! Mais qu'importe : je suis prête à payer ce prix, si c’est pour jouir éternellement [de ma jeunesse et de ma beauté]. Elle s’exécuta donc… Lorsqu’elle se réveilla, seule, il ne faisait pas encore jour. Enveloppée dans les draps de la couche de Sohfel, elle ressentait une sorte d’engourdissement comme au réveil d’un sommeil artificiel... Jorinda examina machinalement son corps à tâtons ; son visage, son cou, ses épaules arrondies...elle était parfaite ! Elle caressa ses seins, plus ronds, plus fermes. Irrésistibles. Puis elle posa les mains sur son ventre ; comme elle s’en doutait, il était rond. Déjà ! La lumière se fit aussitôt, et dans un frisson glacial Sohfel apparut.

    « Ainsi tu as cru m’avoir ?, cracha-t-elle.
    _
    Je t’ai donné ce que tu voulais, dit-il calmement.
    _
    Et quand serai-je débarrassé de...ça ?
    _Son terme sera celui de notre accord ».

    Jorinda blêmit.

    « Mais...tu m’as donné l’Eternité ?
    _Précisément. C’est un cadeau que je te fais ; il te tuerait en naissant, mais en vertu de notre pacte il ne naîtra...qu’à ta mort. C’est à dire jamais.
    _Tu ne tiens pas ta promesse ! Tu m’avais promis l’éternelle beauté... »


    Sohfel sourit, de son étrange visage éléphantin :

    « Qu’y a-t-il donc de plus beau qu’une femme qui porte un enfant ? J’ai mis en toi l’innocence, celle-là même à laquelle tu as renoncé avec notre accord. Quant à moi, tu vois, je n’y gagne rien. Rien ; si ce n’est...la Mort »


    Gatrasz.


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  • Après ma libération
    traîtresse, je me terre comme le rat que je suis devenu ; mon premier soin a été de m’acheter une nouvelle arme, par un circuit que je tiens d’un ex-ami - ex de la C.I.A., aussi. Tout en passant dans ma ceinture un bon vieux Walther P38, comme une partie de moi-même perdue et miraculeusement retrouvée, je me sens à nouveau capable de respirer. J’en profite pour établir le contact, en demandant à mon fournisseur si notre 'ami commun' peut avoir autre chose qu’un calibre à m’indiquer. Une planque, à tout hasard ? Je voudrais bien, pour commencer, savoir où le joindre.

    «
    Vous voulez dire Mr Adams ?
    _Oui
    , dis-je en me souvenant d’une de ses couvertures ; il pilote toujours des transports civils en Afrique ?
    _Oh, oui...mais sous trois mètres de terre, en bout de piste à Yamoussoukro. Son Antonov a lâché juste après le décollage ; et il est retombé vite fait, avec sa cargaison d’armes.
    »

    Je reste un moment immobile, les yeux dans le vague : cette nouvelle me fait l’effet d’un sacré mauvais présage. Assassiné, lui aussi ? Rattrapé par l’
    Agence, après s’en être séparé pas tout à fait à l’amiable... Pour moi non plus, ça ne présage rien de bon. Je ne suis plus qu’un mort en sursis, le mensonge et la mauvaise foi ne m’aideront plus guère... Caché de nouveau dans ma cave, échevelé, barbu comme le défunt Saddam Hussein, j’attendrai qu’on vienne me débusquer en m’enfumant comme un renard. Ou un blaireau, plutôt.

    Et puis je prends d’autres contacts ; j’ai entendu parler d’un collègue à moi qu’on avait remercié pour abus divers, et qui a monté au vu et su de tout un chacun sa petite entreprise privée. Légale. ‘
    MercOsine’, que ça s’appelle. Le boulot ? Faire le coup de feu ; autrefois, on appelait ça faire le mercenaire. En Irak par exemple, ce genre de commerce est florissant depuis l’invasion américaine et la guerre du pétrole. En Angola, ça a relativement bien marché aussi. Je ris intérieurement ; là-bas, le moindre de vos collègues est un ancien assassin des services secrets qui a décidé un jour de bosser pour son compte. Pour quelqu’un qui craint, comme moi, d’être éliminé par l’un d’eux, difficile de faire plus sûr ! Au beau milieu du nid de frelons. Et puis...

    ...j’y vois un autre intérêt. Je me dis que ça serait une manière de changer radicalement de méthode ; je m’explique. Avec un fusil, tu ne peux pas mentir. La rédemption par les armes, en quelque sorte. Avec un bonhomme au bout de ta ligne de mire, y’a pas photo, tu tires
    'vrai'. Penser à ces choses-là, en ce moment, ça m’aide à tenir ; et quand je vois où le goût des mensonges m’a mené, franchement, je pense que ça pourra difficilement être pire.

    FIN


    Gatrasz.


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  • Des insultes, il y en avait aussi dans la voix qui m’aboyait dessus, en persan, tandis que son automatique me glaçait la nuque. Plaqué au sol, des genoux écrasant mon dos, je crus qu’il allait m’arracher les bras. La morsure des menottes dans la chair de mes poignets m’aurait presque fait sourire...

    Dans ma pauvre cellule, au secret, j’attends mon sort. Ma confession est là, tout autour de moi, comme si je l’avais écrite -
    c’est ce qu’ils ont dû faire, d’ailleurs. Et la publier, partout... Je pouvais faire quoi ? Me taire ? J’y ai pensé, pour protéger Anna ; mais ils la tenaient déjà. Alors, à quoi bon... Avec un peu de chance, ils lui relâcheraient la pression si je parlais, c’est en tout cas ce que je m’étais dit.

    Anna. On avait passé du sacré bon temps ensemble ; la vraie vie d’espion, comme on la rêve. La vie sans limite, les boîtes secrètes et illégales dans les sous-sols de la capitale iranienne ; se défoncer, monter un faux dossier pour un article bidon sur la jeunesse contestataire... Faire le jeu du régime, en fait, en opposant rigueur et dépravation, l’ordre et la rébellion. Rentrer à l’hôtel officiellement, en ressortir officieusement sans les caméras. S’éclater. Baiser. Un peu en retrait derrière les barreaux de ma cage, je les regarde emmener ce joli corps qui s’est allongé dans mes souvenirs mais ne se lèvera jamais plus. Elle n’a pas parlé, elle ; on ne la retrouvera pas. Ils l’ont affublée d’un 'tchador' pour qu’on y regarde pas de trop près. Et puis ils la balanceront quelque part, ou bien ils l’enterreront, anonyme, vite oubliée. Sur la longue liste des journalistes emprisonnés, disparus, irrémédiablement perdus dans les remous d’un trop gros poisson... Et moi ? Je ne sais pas. J’attends, en me demandant si maintenant, j’ai vraiment envie d’en sortir. Je ne sais pas. Non. Je ne sais pas...

    * * *

    Aujourd’hui, je sais. Je revois le visage rieur de l’interprète, qui me postillonne au visage avec la sentence les vapeurs d’un truc qui n’a rien à voir avec le thé traditionnel ; et le sourire bien plus franc de celui qui le manipule. Grimace carnassière, qui n’a pas besoin d’en dire bien long :
    qu’il aille donc crever chez les siens, le chien d’occidental. C’est vrai, ça, et c’est malin. Avec ma mignonne face de traître sur la couverture des magazines et ma confession dans les suppléments du dimanche, j’aurai droit à un accueil spécial. Si je rentre. S’il vous plaît, gardez-moi ! Je resterai bien sage dans ma cellule, sans faire d’histoires... Rien à faire. L’envie de les traiter d’assassins m’effleure, puis me quitte en même temps que mes dernières forces : ça ne leur apprendrait rien. Le terme, c’est eux qui l’ont inventé ; l’exécuteur en revanche, leur sera tout à fait étranger. Je soupire, et me laisse entraîner ; mes espoirs à présent se raccrochent à une ultime chance, celle là même qui sera l’ultime menace : l’INCERTITUDE.

    (à suivre)


    Gatrasz.


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  • Gat' 2009

    ...(il ne s'agit pas de dévoiler des opinions politiques, hein ! Juste une illustration d'une remarque entendue, un matin, sur France Inter :)


    Gatrasz.


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  • (...j’aurais pu aussi intituler l’histoire "La mauvaise vie", mais comme vous devez le savoir, il paraît que c’était déjà pris...)

    J’avais été officiellement -
    si l’on peut dire - recruté quelques jours avant mes 21 ans ; à l’époque j’avais déjà effectué une poignée de boulots « spéciaux » mais on peut dire qu’après ça, j’étais réellement titularisé. J’avais signé pour changer complètement ma vie ; mais à ce moment-là, je ne songeais pas trop à ce que cela pouvait signifier. Juste un job, me disais-je parfois en souriant ; juste un job...

    Avant de passer du côté des menteurs, j’étais tout sauf original - encore moins après, d’une certaine façon. Pas assez nul pour foirer ma scolarité, mais pas assez bon pour en faire quelque chose. Des boulots à la con, et le soir au pub ; ou chez moi à écouter Joy Division. Tout seul ou avec une fille, jamais la même ; bref, rien de très franc ni de sincère. Déjà... Mais le genre de mensonges que tout le monde tolère et pratique, en secret mais sans illusions. Qu’est-ce qu’on risque, après tout ? Qu’elle nous quitte, ou bien qu’ils nous virent. Une raclée, tout au plus ; même pas la taule. Alors... Et puis le mensonge, pratiqué avec art, ça peut vous mener loin. Chef de service, rédacteur en chef, ou même ministre ! Mais je n’avais pas cette ambition là. Gagner ma vie, grapiller même un peu plus ; vous savez, le Home Cinema, l’I-Phone, le cabriolet. Une belle montre...pour certains, c’est à cinquante ans. Moi, je la veux tout de suite.

    Alors j’ai signé pour ça, et puis aussi pour mon pays ; ça compte quand on est un peu mégalo. Et puis mince -
    autant le dire - quand on est un fieffé connard. Comme ça, c’est fait. Je ne m’en suis jamais vraiment caché, c’est pas le moment de commencer à faire le timide. Non, vraiment pas. Chaque jour qui passe, je me le dis ; pas besoin qu’on me le rappelle, mais je dis ça pour des prunes : pour une fois où je le pense, trois fois on me le crache en plein visage.

    Pauvre con !

    Cette fois-ci, c’était moi. J’avais dans les mains mon appareil photo camouflé, le numérique dernier cri qu’on achète pas sur les plate-formes officielles, et je mitraillais à tout-va sur le bureau du ministre. Clic ! Et encore un site secret d’enrichissement d’uranium qui passe dans le domaine public... Clic ! Et puis un autre déclic ; le métal froid qui vient s’appuyer tout à coup sur ma nuque, avec l’odeur caractéristique de l’huile d’arme, celle du pistolet automatique soigneusement entretenu par un propriétaire jaloux. Toute l’excitation qui s’envole, et les tripes lourdes comme du plomb ; je me sentais soudain très bête. Et je me le redisais, mentalement, avec peut-être un brin de cynisme :


    pauvre con...

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