• Dissident [Blues] Walk...


    Cela fait longtemps à présent que je suis en fuite ; plus de jours que mes doigts n'en peuvent compter. J'écris ces notes sous un abribus désaffecté, seul endroit qui me reste où l'on ne m'attend pas les armes à la main. L'appart' ? Il est désert depuis longtemps aussi ; ma copine, malgré tout la bonne volonté du monde, n'a pas pu se faire à mon caractère épouvantable. Elle est partie ; j'espère à présent qu'elle va bien. Quant à moi, j'ai pris la poudre quand ils ont investi l'immeuble : on avait dû me dénoncer, avec d'autres activistes de la même souche. Un ami à moi était le chauffeur du général qui commandait les opérations de « nettoyage » des cités universitaires, j'ai eu pas mal de chance sur ce coup ; mais à mon avis ça ne durera pas. La fac ? Dynamitée. Lorsque les G.I. ont débarqué des U.S.A., suite à l'appel à l'aide de notre propre gouvernement, ils ont bien entendu commencé par raser les universités, nids de gauchistes et de résistants à l'autorité de l'ancien Président - aujourd'hui gouverneur de ce qui fut officiellement désigné, la semaine dernière, comme le 51ème Etat des Etats Unis d'Amérique : l'Ile-de-France...

    La plupart des étudiants ont été pris dans les deux premiers mois ;
    l'armée américaine n'est pas trop à l'aise avec la guérilla urbaine, alors elle a fait marcher à plein le système des dénonciations rémunérées. Chaque délateur voyait son pouvoir d'achat multiplié par 10 ; par les temps qui courent, c'est quelque chose d'inespéré... Alors, un étudiant de plus ou de moins, qu'importe ? Je me cache, je mange des racines ou le produit de mes rapines - mais c'est de plus en plus dur. Mon monde s'effondre, mes secondes s'échappent comme les miettes d'un gâteau trop sec... Mes amis ont tous disparu ; d'amour, je n'en ai plus. Et je ne souhaite à personne d'aimer quelqu'un d'aussi dangereux que moi. Vivre toujours en cavale, tenaillé par la Faim et la Peur, cerné par tout ce qui, de nos jours, porte un uniforme. Je n'ai pas les papiers réglementaires, je vis dans les ruines des H.L.M. qui n'ont pas encore été complètement balayés, ou sous les ponts qu'on n'a pas encore fait sauter. Passer en Ile-de-France, nouveau territoire américain, pour m'intégrer ? Jamais ! Il a fallu la mort de la France, aux mains d'un autocrate ivre d'argent et de pouvoir, pour que je me découvre une âme de patriote. Je mourrai avec, soyez sûr qu'on ne me prendra pas vivant. Les prisons, ça n'existe plus, surtout pour les gens comme moi... Je vais devoir bientôt changer de planque ; déjà, j'entrevois des mouvements suspects autour de moi. J'ai vu passer, tout à l'heure, un blindé de la télévision sous escorte militaire. Ils flairent le scoop, ils me sentent. Les chiens sont lâchés, et ils ne sont pas de ceux qu'on déroute avec du poivre. Je crains qu'ils ne finissent par me repérer ; je file. Ces quelques feuillets, je les épingle dans mon portefeuille. Si on vient à les trouver, à les lire, c'est que je serai bien mal en point. Adieu donc, mes très chers, ou peut-être au-revoir, si j'ai de la chance. J'aimerais pouvoir vous le promettre...

    Gatrasz.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :