(A lire en écoutant "666 conducer", du Black Rebel Motorcycle Club)
Je me suis fait peur hier soir. Encore. Et d'une façon pas banale, pour changer. Quand est-ce que j'arrêterai de jouer à ça, hein ? Que je me laisserai un peu tranquille ? C'est pas pour demain, à mon avis. M'enfin, je devrais peut-être trouver ça marrant... Je ne sais pas trop. Enfin, pas vraiment.
Voilà. Hier soir...je me suis moi-même suivi dans la rue. Pas moins. Il me faut bien 45 minutes pour aller dans le centre-ville, à pied ; ça a commencé à peu près à mi-chemin, juste avant le pont. Un type qui marchait derrière moi. Je le voyais parfois du coin de l'oeil, en tournant la tête. Je me méfie des gens qui me suivent, et qui marchent à la même vitesse que moi. C'est tellement rare. Et puis, quelque chose en lui attirait mon regard, un truc, un détail, bref le genre de petites choses énervantes qui ne vous laissent pas tranquille. Il était habillé de la même façon que moi. Enfin, pas tout à fait, les mêmes couleurs mais des habits un peu plus classe. La trentaine approchante. L'air un peu ravagé, le visage mangé par une barbe de trois jours. Plus j'allais, plus il me faisait peur, ce type ; alors je traversai plusieurs fois sans prévenir, je pris des raccourcis et des ruelles pour essayer de le semer, j'accélérai le pas. Pas moyen de m'en débarrasser, il continuait, les yeux fixes, les bras ballants comme un zombie. Et tout à coup, montant sans espoir l'escalier de ce fameux petit parc près de la cathédrale, celui de mes cauchemars, j'ai compris. C'était moi. Moi plus tard, moi dans quelques années. Un "moi" qui aurait suivi la mauvaise pente, un "moi" maigre qui se serait laissé aller. Qui aurait négligé ses (enfin, mes) rêves et ce en quoi il croyait. Ce à quoi je crois, aujourd'hui, quoi. Mon coeur s'est emballé quand j'ai réalisé ça ; je me suis dit : "jusqu'où va-t-il me suivre ?
" Je m'attendais à le voir partout ; dans les magasins, dans les bars à la table d'à côté, chez mes camarades de virée prostré dans un coin de l'appart'. Et quand je demanderais aux autres : "vous voyez quelqu'un ici ?
" en le montrant du doigt, on me prendrait pour un fou. Parce que les gens normaux, ils ne voient pas leur propre fantôme, le fantôme qu'ils vont devenir plus tard, quand leurs ambitions seront mortes. Les gens normaux (enfin, ceux-là)
, ils se défoncent, ils picolent et ils jouent aux dés en racontant des trucs absurdes. Et moi, j'apprécie leur compagnie. J'écoute leur musique et j'imagine ce que donnerait la mienne, si j'en jouais. Quand je pousse un peu trop loin la réflexion, je me dis que, peut-être, eux aussi ont vu leur ombre délavée les poursuivre dans la journée, je me dis que l'appart' est peut-être rempli de spectres assemblés comme nous autour d'une table basse, les yeux vides, croulant sous le poids de leur désespoir. Mais ça me fout les jetons, et je préfère jeter les dés quand vient mon tour, pour tâcher de renouveler le Destin.
Il m'a quitté, mon suiveur ; il a tourné, tout à coup, devant un restaurant indien. Je me suis retourné, mû par une sorte de pressentiment : et je l'ai vu, hagard, regarder autour de lui et s'en aller par la tangente. Là, j'ai songé qu'en fait c'était un individu comme les autres. Un pauvre gars que le Destin avait choisi pour s'incarner, l'espace d'un quart d'heure. Et qui, tout à coup, reprenait possession de sa personnalité, après avoir joué docilement son rôle de prête-corps. Plus tard, j'ai tout fait pour oublier cette histoire ; mais rien n'y a fait, ni les bulles ni les volutes ne faisaient éclater son ombre. J'ai essayé le spiritisme, aussi. Mais seules les voix de Mr Lardons, de Tex et de Carole Rousseau ont parlé par nos voix. Pas moi. Parce qu'à ces heures-là je n'ai plus ma voix, juste un filet rauque entrecoupé de toux et de rires éthyliques.Gatrasz.
ityliques dont les éfluves m'innondent aussi! baisers tendres là (juste ici) pour toi