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Fond sonore : [ Mogwai - San Pedro ]
10 Novembre 2014, 17H.
La rousse le regarde en plissant les yeux, puis sourit - avec un temps d'arrêt.
"Oui, ce sont des détecteurs à métaux. Pourquoi ?
-Je me demandais...si je pouvais m'en procurer un. Vous savez, pour débarrasser mon jardin des vieux bouts de métal, ce genre de choses...
-Bien sûr ! Nous avons plusieurs gammes de prix.
-D'accord. Mais, euh...c'est légal ? Il ne me faut pas un permis, par exemple ?
-Pas pour l'achat, non. En revanche la loi exige que vous demandiez une autorisation si vous voulez vous en servir chez quelqu'un. Tout le monde ne le fait pas, remarquez, mais...c'est mieux. Et, si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce qui vous amène à vouloir acheter un détecteur ?
-Oh, euh...c'est juste un ami qui m'en a parlé. Il n'habite pas très loin, et...
-Qui est-ce ? Nous le connaissons peut-être ?
-Oh, je ne crois pas...Chassepot donne le nom du vieil homme et s'en veut aussitôt mais la gaffe est faite. La jeune femme le regarde d'un oeil soupçonneux, puis baisse la tête. Quand elle lui fait face à nouveau son regard est sombre et de la colère s'y lit en gros caractères.
-Qui avez-vous dit que vous étiez ?
Il juge qu'il est inutile de mentir, tant pour aboutir à ses fins que pour préserver les apparences de la bonne foi.
-Lieutenant Constantin Chassepot, Police Judiciaire d'Orléans. Je vois que vous connaissiez ce Monsieur, toutes mes condoléances... Je suis désolé de venir vous déranger à votre travail, Mlle...
-Ronsard. Géraldine Ronsard. C'est moi qui vous ai prévenus, comme vous devez le savoir.-Bien sûr, ment Chassepot avant d'enchaîner, niaisement : à ce sujet, permettez-moi de vous remercier en son nom, Mlle Ronsard. Si j'étais victime un jour d'un accident, j'apprécierais certainement que quelqu'un s'inquiète aussi efficacement que vous de...
-...ça n'a pas servi à grand-chose, en définitive. J'ai lu ce matin dans la presse qu'il y avait une enquête pour...meurtre. Comment est-ce possible ? Vous suivez une piste ? Ou vous attendez que tout le monde oublie...Elle se détourne, étouffe un sanglot que Chassepot juge assez honnête. Il songe à la réconforter, se dit que c'est peut-être inapproprié vu la situation. Il s'approche tout de même.
-Je vous promets de vous informer des avancées de l'enquête. Si d'aventure vous aviez besoin de...parler, ou de nous transmettre des informations, vous pouvez me joindre quand vous voulez.
Géraldine Ronsard renifle et sourit faiblement, le regard en coin.
-Je vois. Je ne sais vraiment pas quelle...information je pourrais vous donner, je ne comprends rien à tout ça. Mais je vous appellerai"
Dans l'oreille Chassepot, la phrase sonne comme une promesse. C'est beaucoup moins manifeste avec Marcelin quand il se sent obligé de lui raconter son initiative, le lendemain matin.
"Abruti ! Tu leur a dit que tu menais une enquête ?
-Hé bien, c'est en quelque sorte...sorti tout seul.
-Ah je vois. Et il y a d'autres choses qui sont sorties toutes seules quand tu étais là-bas, 'Bang-Bang' ?
-Euh, non, je ne suis pas resté assez longtemps pour lui mettre, disons, la puce à l'oreille.
-Doux euphémisme. Et quelle autre crétinerie comptes-tu faire à présent ?
-Je pensais garder le contact...
-...sans déconner ?
-Ce n'est pas vraiment un boulot d'infiltration, d'accord, mais comme j'ai un motif pour approcher la fille je me dis que je pourrais essayer de savoir si...euh, à quel point elle est impliquée. Il n'est pas nécessaire que je lui révèle ou en est vraiment l'enquête, si ?"Marcelin veut en attendant suivre la piste d'une camionnette aperçue par un voisin ; outre le fait de mener à son identification, faire paraître une annonce peut également détourner l'attention de la piste suivie par Constantin. Il ne bronche donc pas ; de toute manière si Géraldine Ronsard l'appelle, il avisera. Les informations sont maigres cependant ; le véhicule a été vu garé à proximité de la maison de la victime dans la soirée de la veille de la découverte du crime. Le voisin a voulu noter la plaque parce qu'il était gêné pour se garer alors qu'il rentrait plus tard que d'habitude ; ça peut être n'importe qui, et le temps de ressortir avec un stylo la fourgonnette de couleur sombre était partie. Constantin rédige le communiqué que son collègue fait parvenir aux médias. Marcelin s'inquiète ensuite des caméras de vidéosurveillances dans les environs ; Chassepot évoque les radars de sécurité routière. Les nombreux travaux initiés par la municipalité après les dernières élections ont conduit à réduire la vitesse de circulation en de nombreux points et des radars y sont fréquemment installés ; un conducteur stressé - par exemple par un récent meurtre - risque fort de s'y faire prendre, surtout pour un riverain habitué aux limitations usuelles. Il est à peine plus de dix-huit heures quand le téléphone portable de Chassepot se met à sonner. Il reconnaît le numéro, qui figure déjà dans le dossier de l'affaire.
"Mlle Ronsard ?"
Elle a réfléchi, dit-elle ; elle ne voit pas ce qu'elle peut faire pour aider mais peut-être, si Chassepot a des questions... Il suggére un endroit public comme lieu de rencontre, pour que l'interrogatoire soit moins solennel ; à côté de lui Marcelin qui n'en perd pas une miette, ricane.
* * *
"Vous le connaissiez depuis longtemps ?
-Quelques mois. Une amie l'avait eu comme professeur d'histoire au collège ; j'ai eu envie d'approfondir ce sujet en m'inscrivant en Licence, et...
-En Licence de... ?
-Lettres Appliquées. Ce n'est pas précisément au programme, mais j'ai fait de l'Histoire avant et je ne voulais pas perdre le lien. Et puis c'était un vieil homme passionnant, il connaissait tous les musées, tous les sites archéologiques de la région.
-Vous alliez le voir souvent ?
-Le week-end ou pendant les vacances avec une poignée d'autres, essentiellement ses anciens élèves, nous allions souvent visiter des monuments historiques, ce genre de choses. Sinon, je passais chez lui une ou deux fois par semaine. Pas vraiment pour un cours, en fait, on avait des sujets de recherche à potasser et puis on mettait en commun. De vieux textes, des cartes anciennes, des références de bouquins.
-Vous empruntiez des livres pour lui à la bibliothèque de Lettres ?
-Oui, aussi.
-Et cette semaine, vous dîtes qu'il n'a plus répondu aux coups de téléphone. Votre dernier contact remonte à quand ?Elle baisse la tête, se tait un moment. C'est décidément un beau brin de rouquine, et il enverrait bien paître à ce moment tous les règlements de Police afin d'avoir les coudées franches ; pour ne rien arranger voilà qu'elle prend la mouche.
-On dirait que vous interrogez un coupable. Je ne sais plus pourquoi j'ai voulu vous parler.
-Pardonnez-moi. Ce que j'essaie de reconstituer, c'est l'emploi du temps de votre ami, Géraldine.Elle réagit aussitôt, reprenant du poil de la bête avec un air moqueur du plus bel effet.
-Vous avez laissé tomber le 'Mlle Ronsard' ? Bien, je préfère. Euh...donc nous nous sommes vus dimanche matin ; vous savez, la ville a fait restaurer les façades de maisons anciennes du centre-ville et ça faisait un bon sujet de promenade. Et puis nous avons mangé des sandwiches sur les quais de la Loire. Quand je suis partie il devait être 13h, ou 13h30 - grand maximum.
-Il vous a dit ce qu'il ferait après ?
-Non. Mais il parlait beaucoup d'un site dont il avait entendu parler cette semaine, un ancien champ de bataille de la guerre de 1870, il y est peut-être allé. Je ne sais pas.Constantin Chassepot sent d'un coup son intérêt monter d'un cran - tant pour la donzelle que pour l'affaire. 1870 encore ; il a toujours dans sa poche la balle subtilisée par mégarde au vieux.
-Vous ne pensez pas que certains des anciens élèves avec qui vous vous baladiez auraient pu y aller aussi ? Il me faudrait leurs coordonnées, on ne sait jamais.
-Ah, mais oui, c'est possible. Je vais vous donner leurs noms, et...oh, d'ailleurs l'un d'eux est mon patron à la boutique, vous verrez.
-Décidément, le monde est petit..."Il essaie de rester de marbre, et pourtant il rayonne. Les pièces de sa théorie se mettent en place ; certes, tout est encore très flou, la piste à peine embryonnaire. Certes, qu'il ait au moins autant envie de mettre sa suspecte dans son lit que de lui passer les menottes - voire les deux - n'est pas du tout régulier. Mais il espère pouvoir cloisonner tout ça, ne rien laisser transparaître. Ecarter (les cuisses de) Géraldine de la liste des suspects - complice, à la rigueur ? Et Marcelin qui sera sur les dents, qui pourrit déjà de soupçons, mais qui SURTOUT ne doit pas savoir, enfin pas tout de suite, pas avant la fin de l'enquête.
"Et, hem... Vous avez quelque chose de prévu, ce soir ?..."
(à suivre)
Gatrasz.
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Fond sonore : [ Crippled Black Phoenix - We Forgotten Who We Are ]
10 Novembre 2014, 13H.Au début de l'après-midi suivant en terrasse de la Brasserie de Loire, l'affaire a quelque peu progressé. Le rapport du légiste y est pour beaucoup, et Marcelin pour pas grand-chose - pour le moment. Constantin Chassepot n'a guère de raison d'être fier, mais tout en soignant sa digestion il se dit qu'il y travaille. Le reste de la journée sera laborieux, ennuyeux à mourir, fructueux sans doute aussi avec un poil de chance... Plus tôt dans la matinée, Chassepot et Marcelin faisaient le point autour d'un café après une courte nuit.
"Voilà ! Noir, sans sucre... L'autopsie est faite, Votre Seigneurie ?
-Elle devrait, Chassepot. Je suggère que nous allions botter les fesses du docteur sitôt la fin de cette cafetière.
-Au fait, qui nous a prévenu ? La femme de ménage ?
-Un peu après 20h ? Non, c'est une étudiante qui prenait des cours de rattrapage avec le bonhomme qui s'est inquiétee ; depuis deux jours il ne répondait ni aux coups de sonnette ni aux appels, mais sa voiture était devant le garage.
-C'est exemplaire, d'habitude c'est après plusieurs semaines que les gens s'étonnent. Il était prof ?
-D'Histoire, à la retraite. Niveau collège, mais apparemment c'était une sorte d'érudit local, un passionné de 1870 justement. Il devait tenir votre aïeul en grande estime, héhé... Bang ! Bang !
(De nouveau le geste de tirer au fusil)
-Ha ha... Y a-t-il une chance pour que ce surnom évolue, ou c'est une condamnation à vie ?
-Disons que si je te surprenais avec deux superbes blondes en situation de conclure, la signification pourrait à la rigueur changer. Mais sinon...non"
Les portes coupe-feu claquent derrière les deux policiers tandis qu'ils observent le sac mortuaire où repose le vieillard troué de balles qu'ils ont trouvé la veille. La fermeture éclair est remontée ; seules quelques bosses sous le tissus permettent de reconnaître qu'il s'agit d'un corps, sans plus de personnalité. Chassepot se dit qu'il aime autant, le spectacle de la veille est encore frais dans sa mémoire - traits figés par la douleur, doigts crispés comme les serres d'un oiseau, poitrine constellée d'impacts comme une victime de guerre.
"Vous aurez mon rapport ce soir, dit la voix du légiste depuis l'autre pièce. Mais je peux déjà confirmer la cause du décès.
Marcelin rigole.
-Multiples traumatismes perforants au thorax et à l'abdomen, infligées par des projectiles, provenant selon toute probabilité d'une arme à feu ? On est pas si bêtes, Docteur, même si le doctorat en médecine nous a bêtement échappé.
-Je vous laisse découper le prochain si ça vous intéresse. Non ?
-Allons allons, continuez votre speech ; j'attendrais bien votre rapport mais on a une sorte d'enquête à mener, mon collègue et moi.
-Vous m'en voyez ravi ! En tout cas, une chose que vous n'avez pas pu remarquer, c'est l'inhabituelle teneur en résidus de plomb dans les tissus avoisinant les plaies. Plusieurs côtes ont été cassées, et les résidus de projectiles retrouvés ne correspondent pas vraiment aux métaux habituellement utilisés de nos jours pour tirer sur les bêtes et les gens. Le calibre est inhabituel aussi, ce n'est pas un petit calibre de chasse ni du 9mm. Plutôt 11mm, voire même un peu plus.
-Vous pensez à une arme de guerre ? Si c'est le cas, ce vieux nous cache de drôles de secrets !
Chassepot s'éclairçit la voix et récite :
-Le fusil Chassepot 1866 est conçu pour tirer des balles de plomb cylindro-ogivales de 11.8mm de diamètre..."
Marcelin le considère, sans voix, avec l'air d'avoir pris un coup sur la tête.
La porte du bureau claque à faire trembler les murs. Constantin s'appuie contre le dossier de sa chaise, embarrassé, tandis que Marcelin envoie tout balader dans la pièce avec de grands moulinets des bras.
"Bien sûr, il a fallu que tu la ramènes ! Non, sérieusement, tu t'imagines que la hiérarchie va gober ça ? Un prof d'histoire à la retraite assassiné de 19 coups de fusil Chassepot 1866 ? C'est ridicule, à supposer qu'il existe encore une vingtaine d'armes de ce type en état de fonctionner dans le pays, et toutes réunies au même endroit pour faire feu sur un pauvre gars qui donnait des cours de rattrapage aux étudiantes du quartier ? On est pas dans un foutu roman policier, Chassepot !
-Alors peut-être un seul fusil...
-...à 19 reprises ? Avec chaque coup tiré - j'ai vérifié, oui - de face et à hauteur de poitrine ? Mais ça voudrait dire qu'on lui a tiré 19 fois dessus, avec des balles de presque 12mm de diamètre, avant qu'il se décide à tomber. Tu explique ça comment ?
-Il était peut-être immobilisé, drogué ?
-Aucune trace de liens, ça ne tient pas ! On verra ce que disent les analyses toxicologiques mais à voir son visage tordu, mon petit Chassepot, il avait quand même l'air de bien se rendre compte de ce qui lui arrivait. Pour moi, il a pris une rafale d'arme automatique, une mitrailleuse tout ce qu'il y a de moderne et tant qu'on aura pas retrouvé les projectiles ou le lieu du crime, on ne pourra faire que des conjectures idiotes. Vous saisissez ?"
Chassepot acquiesce à contrecoeur. Il le sait, que sa théorie du fusil de 1870 ne tient pas, mais il s'entête à voir les coïncidences, à se dire qu'il y a forcément un lien. C'est peut-être une histoire d'hérédité, l'envie que le nom d'Antoine Chassepot sorte dignement du dossier après s'y être mêlé par accident, juste parce que la victime collectionnait des artefacts militaires. D'un autre côté, l'hypothèse de Marcelin n'expliquait pas comment un instituteur de soixante-sept ans, honorablement connu du voisinage, se retrouvait tout à coup en présence d'armes de guerre automatiques. Enfin, si, il y avait toujours une possibilité.
-Il était peut-être en cheville avec des trafiquants ?
-Vas-y, Bang-Bang, développe ta lumineuse idée.
-Hé bien, les objets qu'il avait sous son lit, il peut les avoir trouvé seul ou bien les avoir achetés. Les antiquités sont l'objet de trafics : les clandestins les trouvent, les revendent, ils alimentent le marché et ça représente des sommes considérables.
-Et tu te dis que, tant qu'à faire, ils ont pu prendre la grosse tête et acheter d'anciens stocks d'armes de l'ex-URSS en échange de 2-3 monnaies et de casques prussiens ?
-Non, plutôt le contraire, en fait. Les antiquités comme occasion de se diversifier pour un réseau de grande envergure. Peut-être qu'il leur fournissait du matériel pillé dans les champs du coin.
-Peut-être bien, gamin. Mais j'aimerais qu'on trouve au moins la queue d'une preuve, un début de piste avant de s'emballer de suite avec le grand banditisme. Je vois déjà une chose à creuser : si le crime a eu lieu ailleurs, c'est qu'ils ont ramené le gars chez lui. La petite nana qui prenait des cours d'histoire dit qu'il a cessé de répondre deux jours avant qu'on le trouve, ça signifie que les voisins ont peut-être vu quelque chose dans les 48 ou, disons, 72 heures qui ont précédé, un truc anodin qui pourrait faire avancer la machine. Il est midi ; je suggère qu'on se mange un truc à la brasserie en bas de la rue, et on va poser nos petites questions aux bourgeois du quartier après. Ok ?
-Bang, Bang !" fait Chassepot en pointant deux doigts vers son aîné, sans néanmoins lui révéler l'idée qu'il vient d'avoir.
L'après-midi tire à sa fin lorsque Constantin prend congé, prétextant la nuit courte que l'enquête lui a fait passer. Les témoignages contradictoires des voisins ne pèsent pas lourd dans sa mémoire ; non parce qu'ils sont inutiles, en vérité certains ne manquaient pas d'intérêt aux yeux de Marcelin, mais parce qu'il creuse cette autre approche qui lui est venue après la visite à la morgue. L'adresse qu'il a relevée dans l'annuaire ne représente pas un gros détour sur le trajet vers son appartement ; le moment venu, il enclenche son clignotant et bifurque sur une voie secondaire.
Lorsqu'il pousse la porte, une sonnerie se fait entendre. Constantin Chassepot rentre la tête dans les épaules, un peu comme s'il était timide, et avance mains dans les poches vers le comptoir, indécis. En réalité ses yeux ne quittent pas la vendeuse, une jeune femme très rousse qui semble ravie de délaisser l'ennui et la pénombre à l'arrivée - croit-elle - d'un client.
"Bonjour ! lance la naïade, dont les cheveux en boucles serrées ondulent sur ses épaules et sur un pull de laine vert-pomme assorti à ses yeux. Que puis-je faire pour vous ?
-'soir ! Hum, j'ai vu que vous aviez tout un stock de matériel en vitrine, je peux vous demander de m'éclairer ?
-Volontiers, qu'est-ce qui vous intéresse ?
Elle est décidément très mignonne ; Constantin regrette assez d'être là pour l'enquête. Cependant, considérant qu'il n'est pas complètement en service et que la naïveté joue en sa faveur il enchaîne, regard innocent :
-Ces instruments, là, ce sont des détecteurs de métaux ?"
(à suivre)Gatrasz.
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Fond sonore : [ The Black Angels - Holland ]
9 Novembre 2014, 21H.
Le téléphone déchire le silence du salon ; Constantin Chassepot rampe hors de sa somnolence et franchit le canapé d'un bras qui lui paraît sans fin.
"Chassepot ?
-Oui, oui. Je suppose que c'est...
-Un meurtre, ouais. A priori. Ramenez-vous au 25, Rue des Tamarins.
-Je...ok"
Dix minutes après l'appel, Constantin roule à travers la ville. Orléans défile et s'efface derrière les phares, il n'y a jamais d'heure pour ces choses-là. Il le savait, quand il a passé le concours. Ce n'est pas sa première affaire, mais c'est la première fois qu'on le sonne en pleine nuit - un coup à prendre. Il freine en catastrophe quand deux agents surgissent dans le brouillard gras, un gyrophare dans leur dos - l'ambulance.
"On vous attendait, c'est à l'étage. Marcelin est en haut avec les gars du légiste"
Un petit pavillon sans âme, une haie touffue qui dissimule à moitié la sonnette ; Chassepot passe en trombe sans avoir le temps de lire le nom sur l'étiquette. Deux pièces vides. Dans l'escalier, encore un planton qui lui indique le chemin, hagard. Hé bien, ça doit être sale comme scène de crime pour que tout le monde fasse la gueule...
Marcelin le cueille dans l'encadrement -pour l'empêcher de voir.
"Ah, Chassepot. Vous avez fait vite.
-Euh, je...j'étais pas couché, alors...
-Bien, bien... Je vous préviens, c'est disons...peu commun. Sanglant, mais pas autant qu'on pouvait le penser. C'est juste bizarre. Blessures multiples, sans doute par balles mais pas d'impacts sur les murs, pas d'odeur de poudre...
-Il a été déplacé, non ?
Marcelin ricane, il est dans le coup depuis bientôt cinq ans.
-Bonne idée, Chassepot, vous la sortez d'où ? Le manuel d'investigation ? Sans déconner, ça tombe sous le sens, gamin, mais alors ça voudrait dire une foutue mise en scène. Allez voir."
Nerveux, Chassepot entre en rentrant les épaules. Petite chambre au papier peint vermoulu, odeur rance d'humidité, rien de très marquant au premier abord. Une armoire normande aux portes entrebaillées, un lit en fer. Le corps gît là, sous un drap avec la couverture ramenée aux pieds. Trop de chauffage, mais la fenêtre ouverte...
-On a pris des photos et on a ouvert, il faisait vachement chaud, braille Marcelin.
C'était un vieil homme ; enfin, pas si âgé, la soixantaine bien sonnée sans doute mais maigre et les cheveux blancs jusqu'aux épaules, visage émacié. Les mains crispées sur le bord du drap.
-Vous croyez qu'on l'a mis comme ça ?
-C'est pour ça que c'est bizarre. Les doigts serrés comme ça. On dirait qu'il souffrait, qu'il a serré. T'as vu les blessures ?
Le vouvoiement a disparu, comme d'habitude après 5 minutes ou dès la première bévue. Un bruit d'eau - Marcelin est dans le cabinet de toilette et lui parle tout en pissant. Charmant.
-Pas encore.
Chassepot fait un signe ; un assistant du légiste écarte le drap. Le corps de l'homme, en caleçon, est comme criblé de trous aux bords sombres, déchiquetés. Groupés au niveau de la poitrine.
-Tu vois gamin, dit Marcelin en entrant, les mains sur sa boucle de ceinture. Tout ça a dû arriver sans le drap, et ailleurs vu l'absence de sang. Glauque, comme mise en scène. Je sais pas comment ils lui ont mis le truc entre les doigts, le légiste nous expliquera ça quand il l'aura dépiauté.
-Mignon, comme image.
-Désolé, tu savais pas ? Il fait ça, le légiste quand on lui porte un macchabée, il...
-Laisse tomber. Pas d'empreintes sur le cadre ?
-Des tas. Mais comme on en retrouve le même jeu partout dans la baraque c'est sûrement les siennes, ça nous avance pas tellement. On verra...
-...ce que le légiste trouvera, oui, oui"
Il peut vraiment être con, Marcelin. Il avait probablement une nana chez lui au moment de l'appel, et il passe ses foutus nerfs. L'imaginer frustré fait sourire Chassepot tandis que les techniciens emportent le corps vers l'ambulance, direction la morgue. Quelque chose attire son regard sous le matelas mis à nu par l'enlèvement des draps - Constantin enfile des gants en latex, un genou au sol, retire de sous le lit une boîte en carton. Lourde, la boîte ; il l'ouvre avec précaution.
-C'est quoi ?
Il sursaute en entendant Marcelin derrière lui.
-Euh...de vieilles munitions. Le gars me fait l'effet d'un collectionneur. Il y a une pointe de casque prussien de 1870, des boucles de ceinturon, des balles de plomb...
-Des balles ? Un lien avec le crime ?
-Non, elles sont toutes oxydées, elles ont été tirées il y a un siècle et demi dans la campagne. Sur les champs de bataille on en trouve des tonnes, les clandestins s'en donnent à cœur joie.
-Il collectionnait les balles prussiennes donc.
-Non, celle-là sont françaises, ce sont des balles de fusil Chassepot.
-Pardon ?
-Oui, c'est mon arrière-grand-père qui a inventé le fusil qui équipait les français, ça lui a valu la Légion d'Honneur.
-Monsieur est célèbre ! Hé bien, Monsieur paiera le café en arrivant au poste, pour sa peine. Allons au trot, on a du boulot, Chassepot. Bang, bang !"
Il ponctue finement ses paroles d'un geste imitant le tir au fusil, et descend en trombe l'escalier. Constantin le suit en grommelant ; arrivant à sa voiture, il s'aperçoit qu'il a gardé une balle en plomb dans sa main ; haussant les épaules - il y en avait peut-être une centaine dans la boîte - il la met dans sa poche et s'installe au volant.
(à suivre)Gatrasz.
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