• Les Griffes De La Chose Sombre...


    (La scène se déroule fin XIXème en Louisiane ; une trentaine de gentlemen se réunissent dans la maison d'un riche planteur de tabac pour un congrès. Tous sont de gros fumeurs, sauf le narrateur, venu pour accompagner un vieil ami. Survient une créature aux velléités bien particulières...)

    [...] nous étions tous dans la maison, et le vent soufflait en tempête ; son sifflement ondulait comme un serpent, s'enroulant autour de la vieille demeure coloniale pour l'écraser dans ses anneaux. L'atmosphère devenait étouffante et la fumée du foyer mourant s'entassait sous les poutres noires du plafond. Dehors rôdait la Chose Sombre, dans une obscurité qui semblait faite pour elle, humide, épaisse. Toxique. Les fumeurs étaient ses proies de prédilection... Ce dont il s'agissait, personne n'aurait su le dire : les restes de ses victimes, odieusement déchiquetés, disaient sa férocité mais en rien son allure. On eût dit qu'elle vous prenait de l'intérieur, voilà tout ce qu'on avait pu déduire. Votre corps se disloquait ; des blessures suintait un épais goudron - horrible résidu organique à l'aspect profondément malsain...

    Quelques uns avaient tenté de fuir, une heure plus tôt. L'ouragan, soudain déchaîné, avait étouffé leurs cris. Pourtant, lors d'une accalmie, j'avais cru percevoir quelque chose : un frôlement contre la porte, un murmure. J'avais ouvert le battant, qu'une rafale avait presque aussitôt rabattue, quasiment arrachée. Quant au malheureux qui se tenait devant... Les genoux et les coudes déboîtés, il s'agitait désespérément dans une pantomime grotesque, avec des spasmes ponctués de cris rauques. Sa figure de souffrance s'imprima à jamais dans nos esprits ; il était perdu. Les plus vifs d'entre nous rabattirent la porte, l'assujettirent avec des madriers. J'eus le temps de voir, cependant, une ombre encore plus noire l'englober totalement, un nuage l'envelopper de ténèbres et le croquer, de milliers de petites dents sauvages... Il parut se rompre, se disperser, et disparut à jamais.

    [...] A présent nous allions aussi devoir sortir, nous aussi : la maison craquait, pliait, menaçait de s'effondrer pour nous ensevelir sous une masse de décombres à l'échelle de son ancienne splendeur. Il y avait ceux qui voulaient demeurer malgré tout, terrifiés ; et ceux, dont j'étais, qui pensaient fuir dans la forêt, s'abriter sous les arbres centenaires que même la tempête n'avait pu jusque là déraciner. La porte enfin ouverte, je plongeai le premier dans l'obscurité. Je rampai le long d'une haie ; on me suivait. Je m'arrêtai soudain : devant moi, une fosse à peu près de la taille d'une tombe et, dedans, une jambe. Dans le même état que précédemment décrit, déchirée, rongée, fondue. Je hurlai : la Chose Sombre était toujours là ! Je vis la terreur gagner mes compagnons tandis qu'un affreux soupçon me prenait aux entrailles... Je voulus me retourner mais n'en eus pas le temps. La Chose Sombre me saisit, m'emporta : mes vêtements, imprégnés d'odeur de tabac blond, craquaient, mes chaussures, mon gilet ; la peau me brûlait aux articulations... Dans un grand cri de terreur et d'agonie, je m'envolai, tâchant de me replier, de retenir mes jambes et mes bras contre la force monstrueuse qui les empoignait. Je devins un point de l'espace, ma conscience s'étrécit, et je finis par perdre connaissance.

    Quand je me réveillai, j'étais sur un lit d'hôpital ; bras et jambes immobilisés, mais cependant - à mon grand soulagement - intacts. J'étais faible ; mais je devais me remettre rapidement. De mes amis, nulle trace ; du moins, me dit-on, rien d'identifiable. J'étais le seul survivant...

    Gatrasz.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Novembre 2008 à 20:24
    Fumeur passif
    Il a bien failli te bouffer toi aussi, ce gros crabe noir q:)
    2
    Vendredi 21 Novembre 2008 à 10:58
    Merci, Saoul Fifre !
    ...j'avais pas fait l'analogie avec le crabe, mais c'est tout à fait ça. En fait, il s'agit d'un rêve que j'ai fait il y a une dizaine de jours, je l'ai écrit mais pas totalement analysé :)
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    3
    Vendredi 21 Novembre 2008 à 12:25
    grumpff
    ça se termine mal, mais ça aurait pu se terminer encore plus mal... pas mal tout de même...
    4
    Samedi 22 Novembre 2008 à 10:18
    Hé, Antenor...
    ...je vais quand même pas mourir dans mes rêves pour te faire plaisir ! :)
    5
    Samedi 22 Novembre 2008 à 18:00
    La clope
    idem, j'ai pensé au crabe, je l'ai vu il n'y a pas si longtemps,j'ai vu ce qu'il a fait sur de pauvres clopeurs, je concluais en disant : ils s'en vont CLOPin CLOPant
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