(Photo : Gat'. 2008)
Il était là, seul et abandonné, au coin d'une petite rue pavée. Personne pour lui prendre la poignée, pour lui montrer le chemin. Il s'était échappé d'un cirque le matin même ; il avait pris le métro, roulé sur le bord d'un trottoir et s'était retrouvé au milieu de nulle-part, juste au-dessous de la plaque de la Rue du Languedoc .
C'était ce que l'on appelle, dans le jargon de la profession, un Bidon Des Sens
. Sa place : au pied de la piste, près des ballots de paille. Il servait à mettre le feu
à la salle, libérer les émotions de tous les spectateurs dans une grande flambée
de joie. Ses effluves, une fois libérées, excitaient tous les sens et les rendait fous ; les gens entendaient et riaient plus fort, voyaient plus grand. Ils sentaient l'odeur du cheval sous les pieds mignons de l'Ecuyère, ils entendaient les crins crisser sous les chaussons de velours argenté. Sous l'action du fluide magique du Bidon des Sens
, ils s'enflammaient
pour les acrobates, brûlaient
de passion pour le Clown ou la Femme coupée en deux. Pour eux, les trucs du Magicien disparaissaient sous la fumée
scintillante qui enveloppait ses tours - ils n'y voyaient que du feu
. Les lions venaient tout à coup d'un pays bien plus chaud
. Parfois, la poudre
de l'Homme-Canon
détonnait sans qu'on ait besoin d'allumer
la mèche ; et il s'envolait, dans un nuage de vapeurs irisées
. Des spectatrices aux yeux de braise
scrutaient les muscles de l'Hercule, tandis que dansait dans chacune de ses mains un nain au costume flamboyant
... Monsieur Loyal était ovationné ; les artistes, adulés. Tout ça, parce qu'on bidon plein d'un liquide-mystère avait su mettre la petite étincelle
nécessaire à l'embrasement
des foules...
Tout ceci me revint d'un coup à l'âme et au coeur ; dix pas après l'avoir croisé, je m'arrêtai, revins en arrière. Le voir ainsi sous la pluie, sans feu
ni lieu sur le pavé tout gris, me brisa le coeur. Je le pris, l'emmenai avec moi ; depuis il illumine
mes soirées d'hiver. Il m'apporte chaleur
et réconfort, même quand je n'ai pas de bûche à brûler
. Il est convivial et plaisant ; et, qui plus est, il s'entend à merveille avec Nicéphore (c'est le lion de mon Cousin
).
Gatrasz.
joli bidon, belle oeuvre d' art .