Indochine 1954 - Episode 5.
La vérité, au fond, à propos d'Henri Hasnel, c'était qu'il s'ennuyait profondément. Bien sûr, la guerre était arrivée à point pour l'empêcher d'aller se morfondre dans quelque administration coloniale ; mais il n'avait pas eu le temps de s'interroger sur le sens de ce combat, raison pour laquelle il n'arrivait pas à s'y impliquer vraiment. Et puis, depuis quelques jours, les choses avaient changé : sa rencontre avec Luce, l'infirmière de ce fameux soir en ville, lui ouvrait de nouveaux horizons, des perspectives jusqu'ici vides de sens. Plus il la voyait, plus il espérait que la guerre finirait vite, et cela l'incitait à approfondir ses opinions et son engagement. De fait, il s'était du même coup rapproché de ses camarades, et nouait progressivement quelques solides amitiés.
Ainsi qu'il l'avait pressenti, Gaston Le Glaec et lui étaient devenus bons amis ; en vol, ils expérimentaient des techniques d'attaque audacieuses, et au bar leurs discussions étaient animées... Cependant, la perte de ce détachement certain qu'il avait eu vis à vis du conflit le rendait d'une certaine façon moins sûr de lui, moins confiant et donc plus scrupuleux, plus soucieux aussi. Chacune de ses erreurs prenait une importance nouvelle, qui parfois le dépassait. Cette évolution dans son comportement ne le laissait pas indifférent ; et il se rendait bien compte qu'il était surtout de plus en plus soulagé au retour des missions d'assaut qui lui étaient confiées. De quoi le déstabiliser un peu sur ses bases...
Heureusement, l'expérience venait à son aide, lui permettant de mettre à contribution les réflexes acquis pendant les premiers mois de la guerre. Il était presque un vétéran, à présent. Et son efficacité en portait les marques... C'est ce à quoi il songeait ce matin-là, en voyant la gerbe d'étincelles et de feu jaillissant du camion de munitions qu'il avait pris pour cible. Une toute petite rafale avait suffi. Il slaloma entre les lignes enflammées des balles qu'on tirait vers lui ; il pouvait quasiment les anticiper et le mouvement devenait machinal, jeu dangereux et grisant contre lequel il fallait lutter constamment. Par chance, il en était parfaitement conscient et n'avait, par opposition à d'anciennes tendances, pas la moindre envie de se laisser aller. Il mit donc les gaz, et grimpa en flèche rejoindre Le Glaec dans l'azur vaguement brumeux du matin. Le breton lui adressa un petit signe de félicitations, tandis que les derniers obus éclataient autour d'eux, épars. Hasnel répondit par un battement d'ailes ; encore une fois, il avait fait de son mieux, et ne put réprimer un regard vers la photographie de Luce, accrochée entre deux cadrans sur le tableau de bord. Mais comme on l'a déjà dit, il était en cette circonstance moins question d'habileté que de chance ; et le dernier éclatement, celui qu'on n'entend jamais d'habitude, se produisit cette fois juste dans son moteur...(à suivre)
Gatrasz.
Il vole sur quoi, déjà? Un avion de fabrication US sans doute?