Indochine 1954 - Episode 3.
Ces virées en ville, Henri Hasnel les faisait aussi pour se trouver, comme chaque fois, quelqu'un à écouter. C'était plutôt ça, son truc. Ecouter les gens ; il n'avait rien à leur dire, pas de conseils à leur donner. Juste des yeux grands comme ça qui lui donnaient l'air attentif, et puis l'envie de ne pas réfléchir, d'écouter juste des problèmes auxquels il savait ne rien pouvoir changer. Cela lui donnait du détachement, l'impression d'être moins impliqué. Et pas de regrets...
Cette fois-çi, au lieu d'un collègue ivre ou d'un journaliste complètement usé par l'accumulation des horreurs et l'expatriation, ç'avait été l'infirmière. En fait, il la connaissait ; c'est à dire qu'il l'avait déjà croisée quelquefois, à l'infirmerie ou au mess, mais ils n'avaient jamais pris le temps de faire connaissance. Il ne savait même pas son nom ; alors que, pour lui faire honte, elle devait bien savoir comment il s'appelait. Mais, sans doute par délicatesse, elle continua de l'appeler "Lieutenant" tout au long de la soirée... C'est qu'elle en avait, des choses à dire, cette jolie brunette aux yeux vert pâle, et à la peau claire qui supportait mal le soleil. Des choses banales que connaissait n'importe laquelle de ses consoeurs, ce qui coupait court à toute discussion parce que, quand on sort, c'est plutôt pour se changer les idées ; tandis que lui, il ne savait pas, il n'aurait pas l'impression de se voir rattrapé par le travail et la routine du quotidien. De son côté, il savait qu'elle en avait besoin, comme les autres, de cette écoute. Il savait aussi que pour tout le monde, il avait l'air de se sacrifier, mais peu lui importait : même, ça lui plaisait assez d'avoir cette image-là. Et puis surtout, ça paraissait bien lui plaire, à elle. La petite infirmière... Elle, qui lançait des coups d'oeil vers ses deux compagnes de sortie, l'air de leur dire : "Vous voyez ? Y'en a un qui m'écoute..."
Deux ou trois fois, elle avait bien essayé de le faire parler ; et sans doute que d'içi la fin de la soirée elle essaierait encore. Mais il n'avait pas l'intention de céder, sûr de n'avoir rien à dire, et il riait en secouant la tête. "Non... Vous voyez, je ne trouve rien à dire... Mais non... Si, si, je m'intéresse à... Mais puisque je te le dis !" Et l'échange progressait ainsi, toujours plus avant dans les confidences de la jeune femme et dans les attentions qu'il lui portait. Jusqu'à ce qu'ils quittent la boîte tous les deux, et qu'ils regagnent la base par leurs propres moyens. Là, ils avaient avisé ; à cette heure-çi ils seraient tranquilles, plus personne à l'infirmerie : pas de blessés. En ce moment, il n'y avait que des morts ; mais on ne les mettait pas là...
Gatrasz.
j'aime bcp! la téquila c'était une boutade, car je suis restée sans voix devans cette lecture qui me passionne! merci et kiss plein