Indochine 1954 - Episode 2.
Henri Hasnel eut une pensée pour l'équipage du C-47 arrivé le matin, qui grillaient une cigarette pendant le déchargement de leur avion miraculé. Eux étaient passés ; mais il leur restait à accomplir le retour sur Saïgon, tout aussi risqué si ce n'est plus car la fin de la mission approche, la tension se relâche et il devient tentant de baisser sa garde. Parfois aussi, les nerfs flanchent, on meurt en temps de guerre pour des raisons toutes bêtes ; on oublie de sortir le train d'atterrissage, on oublie de contrôler son altitude avant une manoeuvre...
Comme il arrivait près des baraquements, il croisa un petit groupe de personnes ; parmi eux, la jolie infirmière avec qui il avait passé la soirée d'hier. Il ne réussit pas à lui renvoyer le léger sourire qu'elle lui adressa ; pas le temps, pas vraiment revenu, pas encore décompressé. Il fallait auparavant passer l'épreuve du débriefing. Son équipier et son chef de patrouille étaient déjà dans la salle lorsqu'il entra ; il se joignit au groupe, pour répondre aux questions pressantes du Commandant et de l'officier de Renseignement, pointer sur la carte la position approximative des nouvelles batteries anti-aériennes disposées par l'ennemi. Il y en avait une, deux, trois, quatre à chaque sortie ; toujours quelque chose à dire, à changer.
La veille, il s'était octroyé une virée en ville avec ses camarades de l'escadrille ; un club où les aviateurs étaient reçus comme des demi-dieux, du moins se plaisaient-ils à le croire pour la plupart. Beaucoup préféraient ne pas se demander si le sourire des serveurs asiatiques disparaissait lorsqu'ils avaient le dos tourné, si les informations qu'ils lâchaient sur le bar tombaient dans l'oreille intéressée de personnes intéressantes pour les gens du contre-espionnage. Henri, lui, ne se sentait jamais très à l'aise ; alors il choisissait de se taire et de ne pas boire au-delà de certaines limites. Une sorte de soupçon perpétuel, qui le faisait passer pour un névropathe, taciturne et renfermé. Passer toujours pour celui qui va craquer, se tirer une balle, se faire sauter le caisson. Lui au moins, songeait-il avec une ironie féroce, ne ferait pas d'éclat, pas de scandale à la sortie...
Mais il venait quand même, parce qu'il n'aimait pas boire seul. Planquer une bouteille dans son paquetage, la descendre seul dans sa chambrée, pour lui c'était un peu comme inviter le Diable à trinquer, se donner rendez-vous en Enfer la prochaine fois... Et ça, à savoir définir son Destin et tracer sa route, un itinéraire définitif, quel qu'il soit, ce n'était pas du tout son truc.
Gatrasz.
une téquila sunrise pour moi stp! bien fraiche . t'es un chou