• Girls, Tequila & Old Guitar Blues... (3)


    III. ...TEQUILA

    Le lendemain matin, je m'éveillai auprès de Jess, dans la chambre que nous avions prise dans l'hôtel. Je tenais par ailleurs une bouteille de tequila vide et une impressionnante gueule de bois. Ma chère et tendre qui ne dormait pas me gratifia d'un regard noir et me demanda si j'avais bien dormi.

    «
    Tu devrais, ajouta-t-elle en se levant ; tu ronflais si bien... »

    Sa silhouette dénudée évoqua en moi une lueur de désir ; cependant, la nature se rappela aussitôt à moi par des vertiges et des nausées de la puissance d'un choc sismique... Je vomis ensuite pendant une bonne demi-heure.

    Quand j'arrivai en bas, dans la salle à manger un étrange calme régnait. A peine le bruit d'une petite cuiller touillant une tasse de café -
    assez pour me rendre à nouveau malade. Derrière celle-ci, un type bizarre qui n'avait pas l'air d'avoir picolé. Grand, sec, rasé de près - et flic. Quoi ? A l'époque, c'est-à-dire cinq années plus tôt, ils n'attendaient pas le matin pour venir nous sonner les cloches ; à cette heure-là, plus de shit ni quoi que ce soit d'illégal qui n'ait été consommé et au moins partiellement régurgité par les organismes coupables... Mais, ce matin-là, c'était un peu différent ; mon estomac recommença à faire des nœuds quand on souffla à mon intention que la police était là pour le meurtre.

    Après un interrogatoire à-jeun et vaguement bâclé
    - j'étais apparemment le dernier levé - j'eus droit de visiter en bonne compagnie la scène du crime. En fait, je passai simplement devant, encadré par deux policiers qui me ramenaient avec les autres ; mais j'eus de cette pièce où s'affairaient les experts une vision pour longtemps gravée dans ma mémoire d'alcoolique. C'était une chambre particulière, décorée selon un goût que les jeunes filles modernes apprécieront. Des murs touts blancs, de même que le plafond et le sol ; on eût dit un endroit oublié du grand créateur céleste - une image parfaite de la chambre vierge ou, plutôt, l'antre même de la virginité. La métaphore se concluait d'une manière sinistrement suggestive par une vaste trace de sang, comme un affront à la pureté ambiante. Derrière...tranchant sur la pâleur des parois, un nid apparaissait, tapissé de plumes pourpres. C'était comme une rose posée sur une feuille de papier à dessin, et dont le jeune sang vermeil aurait coulé selon la fantaisie d'un artiste aux inspirations glauques. Au milieu de cette grande bouche débordant de coussins bordeaux, un corps blanc aux formes gracieuses ponctué d'envoûtantes zones sombres. Triangle noir profond d'un pubis offert à tous les regards, entre les jambes largement ouvertes ; pointes vermeilles des tétons dressés vers le ciel, comme une provocation à la grâce divine et pure de la pièce ; cheveux brun-roux descendant en cascade de boucles sur les épaules nues, rondes et claires ; étoile sanglante aux branches ruisselantes comme des gouttes de peinture fraîche autour des seins moulés au bol de la défunte Marie-Antoinette. Le centre géométrique de cet marque tentaculaire naissait sous la gorge de celle qui avait été la strip-teaseuse de l'hôtel, la veille encore ; on y voyait en guise de source d'hémoglobine le goulot brisé de la fameuse bouteille de Bourbon...

    Au moment de passer, ma perception rendue lyrique par les restes de la
    tequila eut le temps de saisir encore un détail : dans les yeux bleu profond de celle qui fut pécheresse et écorchée vive, aux pupilles largement dilatées, une forme, une tache qui soudain pour moi se mit à grossir comme au travers d'une loupe ou d'un télescope. Effet de superposition, de réfraction, de décomposition de la lumière par l'alcool que j'avais dans le sang encore en dose massive ? Je vis nettement imprimé sur sa rétine le visage grimaçant d'une vieille femme au regard meurtrier, la gardienne de nuit de cet hôtel équivoque ; sa silhouette penchée en avant, son bras brandissant une bouteille de Bourbon fracassée... Je sentis - enfin ! - que je tournais de l'œil.

    FIN

    Gatrasz.


  • Commentaires

    1
    Andiamo
    Mardi 16 Décembre 2008 à 15:26
    Sokal
    Superbe histoire, manque plus que :"Canardo" de Sokal, narré sur le ton d'un Nestor Burma désabusé....
    2
    Mardi 16 Décembre 2008 à 17:49
    Merci, Andiamo !
    ...je connais bien ces références, et je les apprécie :-)
    3
    Mardi 16 Décembre 2008 à 18:47
    Merde...
    ...j'aurais parié que c'était le Colonel Moutarde qui avait fait le coup avec le chandelier ! Belle histoire en tout cas ! :~)
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    4
    Mardi 16 Décembre 2008 à 23:08
    @Tant-Bourrin :
    ...merci bien ! Mais non, rien n'échappe à Mlle Prunelle ;-)
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