• Elixir Des Passions... (1)

    I. LE NAIN

    Le Nain Fandrün monta l'escalier de pierre d'un pas lourd. Dans la vaste alcôve où les flammes du feu qui couvait éclairaient de reflets fauves les pierres de la voûte , sa femme Bronnin se tenait devant l'énorme chaudron, les poings sur les hanches :

    "Que viens-tu faire ici, Fandrün ? L'accès de ce lieu t'est interdit.
    _J'en suis le gardien
    , grogna-t-il dans sa barbe.
    _Alors tu ne le sais que mieux. Déguerpis ; en ces lieux c'est moi qui commande, et même à toi, Fandrün, je refuserai ce que tu réclames. N'insiste pas."

    Le vieux Nain grommela dans sa barbe, et ses doigts se crispèrent sur la poignée de son épée large et courte ; il n'eût toléré cet affront de personne, seule la vision de sa femme au lieu d'une quelconque servante retenait son bras. Fandrün avait été un guerrier redoutable devant lequel fuyait l'ennemi ; mais il défendait à présent l'accès aux caves où l'on fabriquait l'élixir secret dont le Royaume tenait sa force, au cœur du gigantesque château royal. Cette relégation dans les profondeurs froides et sombres eût pu lui plaire s'il n'y avait eu l'ennui et la solitude. Plus d'armées sous ses ordres, plus de combattants à occire ; et Fandrün ruminait en buvant sa dose d'élixir réglementaire, qu'il additionnait de celle de sa femme et de ce qu'il gagnait au jeu contre les gardes de son escouade. Toute honte bue, il déclinait ; et son épée légendaire frappait de moins en moins juste à l'entraînement. Pour cette raison, et parce que les quantités étaient soigneusement comptées, sa femme lui refusait le supplément qu'il lui réclamait souvent. Il ne riait plus maintenant, il ne faisait même plus semblant ; et son regard se fit cette fois haineux, tuant au cœur de Bronnin de nouvelles illusions d'amour qui passèrent à l'instant au rang des souvenirs.

    Fandrün se détourna rageusement, puis descendit quelques marches de l'escalier qui descendait dans la grande salle où restaient, vides, les deux pichets réputés contenir la vraie source éternelle d'élixir et qui pour lui s'étaient depuis longtemps taris. Leur vue, du haut des marches, exaspéra sa colère et il sortit son épée complètement du fourreau ; il la fit tournoyer dans l'air sous le regard médusé de sa femme, puis elle quitta ses doigts pour traverser la salle dans un sifflement. Les yeux agrandis par l'horreur, Bronnin, Fandrün et les gardes en faction virent la lame légendaire atterrir à plat dans un fracas terrible sur la table de pierre et rebondir, brisée, entre les pichets de verre intacts et comme impassibles. Le vieux Nain émit un cri plaintif, si bas que seule sa femme l'entendit s'échapper tandis que le corps de Fandrün s'affalait sans vie et sans un bruit sur les degrés de pierre. Avec la fin de cette lame illustre qui seule gardait encore ce qu'il avait été de robuste et glorieux, il avait rendu l'âme
    ...

    -A suivre-
    Gatrasz.


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