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Chassepot [Episode 3]
Fond sonore : [ Mogwai - San Pedro ]
10 Novembre 2014, 17H.
La rousse le regarde en plissant les yeux, puis sourit - avec un temps d'arrêt.
"Oui, ce sont des détecteurs à métaux. Pourquoi ?
-Je me demandais...si je pouvais m'en procurer un. Vous savez, pour débarrasser mon jardin des vieux bouts de métal, ce genre de choses...
-Bien sûr ! Nous avons plusieurs gammes de prix.
-D'accord. Mais, euh...c'est légal ? Il ne me faut pas un permis, par exemple ?
-Pas pour l'achat, non. En revanche la loi exige que vous demandiez une autorisation si vous voulez vous en servir chez quelqu'un. Tout le monde ne le fait pas, remarquez, mais...c'est mieux. Et, si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce qui vous amène à vouloir acheter un détecteur ?
-Oh, euh...c'est juste un ami qui m'en a parlé. Il n'habite pas très loin, et...
-Qui est-ce ? Nous le connaissons peut-être ?
-Oh, je ne crois pas...Chassepot donne le nom du vieil homme et s'en veut aussitôt mais la gaffe est faite. La jeune femme le regarde d'un oeil soupçonneux, puis baisse la tête. Quand elle lui fait face à nouveau son regard est sombre et de la colère s'y lit en gros caractères.
-Qui avez-vous dit que vous étiez ?
Il juge qu'il est inutile de mentir, tant pour aboutir à ses fins que pour préserver les apparences de la bonne foi.
-Lieutenant Constantin Chassepot, Police Judiciaire d'Orléans. Je vois que vous connaissiez ce Monsieur, toutes mes condoléances... Je suis désolé de venir vous déranger à votre travail, Mlle...
-Ronsard. Géraldine Ronsard. C'est moi qui vous ai prévenus, comme vous devez le savoir.-Bien sûr, ment Chassepot avant d'enchaîner, niaisement : à ce sujet, permettez-moi de vous remercier en son nom, Mlle Ronsard. Si j'étais victime un jour d'un accident, j'apprécierais certainement que quelqu'un s'inquiète aussi efficacement que vous de...
-...ça n'a pas servi à grand-chose, en définitive. J'ai lu ce matin dans la presse qu'il y avait une enquête pour...meurtre. Comment est-ce possible ? Vous suivez une piste ? Ou vous attendez que tout le monde oublie...Elle se détourne, étouffe un sanglot que Chassepot juge assez honnête. Il songe à la réconforter, se dit que c'est peut-être inapproprié vu la situation. Il s'approche tout de même.
-Je vous promets de vous informer des avancées de l'enquête. Si d'aventure vous aviez besoin de...parler, ou de nous transmettre des informations, vous pouvez me joindre quand vous voulez.
Géraldine Ronsard renifle et sourit faiblement, le regard en coin.
-Je vois. Je ne sais vraiment pas quelle...information je pourrais vous donner, je ne comprends rien à tout ça. Mais je vous appellerai"
Dans l'oreille Chassepot, la phrase sonne comme une promesse. C'est beaucoup moins manifeste avec Marcelin quand il se sent obligé de lui raconter son initiative, le lendemain matin.
"Abruti ! Tu leur a dit que tu menais une enquête ?
-Hé bien, c'est en quelque sorte...sorti tout seul.
-Ah je vois. Et il y a d'autres choses qui sont sorties toutes seules quand tu étais là-bas, 'Bang-Bang' ?
-Euh, non, je ne suis pas resté assez longtemps pour lui mettre, disons, la puce à l'oreille.
-Doux euphémisme. Et quelle autre crétinerie comptes-tu faire à présent ?
-Je pensais garder le contact...
-...sans déconner ?
-Ce n'est pas vraiment un boulot d'infiltration, d'accord, mais comme j'ai un motif pour approcher la fille je me dis que je pourrais essayer de savoir si...euh, à quel point elle est impliquée. Il n'est pas nécessaire que je lui révèle ou en est vraiment l'enquête, si ?"Marcelin veut en attendant suivre la piste d'une camionnette aperçue par un voisin ; outre le fait de mener à son identification, faire paraître une annonce peut également détourner l'attention de la piste suivie par Constantin. Il ne bronche donc pas ; de toute manière si Géraldine Ronsard l'appelle, il avisera. Les informations sont maigres cependant ; le véhicule a été vu garé à proximité de la maison de la victime dans la soirée de la veille de la découverte du crime. Le voisin a voulu noter la plaque parce qu'il était gêné pour se garer alors qu'il rentrait plus tard que d'habitude ; ça peut être n'importe qui, et le temps de ressortir avec un stylo la fourgonnette de couleur sombre était partie. Constantin rédige le communiqué que son collègue fait parvenir aux médias. Marcelin s'inquiète ensuite des caméras de vidéosurveillances dans les environs ; Chassepot évoque les radars de sécurité routière. Les nombreux travaux initiés par la municipalité après les dernières élections ont conduit à réduire la vitesse de circulation en de nombreux points et des radars y sont fréquemment installés ; un conducteur stressé - par exemple par un récent meurtre - risque fort de s'y faire prendre, surtout pour un riverain habitué aux limitations usuelles. Il est à peine plus de dix-huit heures quand le téléphone portable de Chassepot se met à sonner. Il reconnaît le numéro, qui figure déjà dans le dossier de l'affaire.
"Mlle Ronsard ?"
Elle a réfléchi, dit-elle ; elle ne voit pas ce qu'elle peut faire pour aider mais peut-être, si Chassepot a des questions... Il suggére un endroit public comme lieu de rencontre, pour que l'interrogatoire soit moins solennel ; à côté de lui Marcelin qui n'en perd pas une miette, ricane.
* * *
"Vous le connaissiez depuis longtemps ?
-Quelques mois. Une amie l'avait eu comme professeur d'histoire au collège ; j'ai eu envie d'approfondir ce sujet en m'inscrivant en Licence, et...
-En Licence de... ?
-Lettres Appliquées. Ce n'est pas précisément au programme, mais j'ai fait de l'Histoire avant et je ne voulais pas perdre le lien. Et puis c'était un vieil homme passionnant, il connaissait tous les musées, tous les sites archéologiques de la région.
-Vous alliez le voir souvent ?
-Le week-end ou pendant les vacances avec une poignée d'autres, essentiellement ses anciens élèves, nous allions souvent visiter des monuments historiques, ce genre de choses. Sinon, je passais chez lui une ou deux fois par semaine. Pas vraiment pour un cours, en fait, on avait des sujets de recherche à potasser et puis on mettait en commun. De vieux textes, des cartes anciennes, des références de bouquins.
-Vous empruntiez des livres pour lui à la bibliothèque de Lettres ?
-Oui, aussi.
-Et cette semaine, vous dîtes qu'il n'a plus répondu aux coups de téléphone. Votre dernier contact remonte à quand ?Elle baisse la tête, se tait un moment. C'est décidément un beau brin de rouquine, et il enverrait bien paître à ce moment tous les règlements de Police afin d'avoir les coudées franches ; pour ne rien arranger voilà qu'elle prend la mouche.
-On dirait que vous interrogez un coupable. Je ne sais plus pourquoi j'ai voulu vous parler.
-Pardonnez-moi. Ce que j'essaie de reconstituer, c'est l'emploi du temps de votre ami, Géraldine.Elle réagit aussitôt, reprenant du poil de la bête avec un air moqueur du plus bel effet.
-Vous avez laissé tomber le 'Mlle Ronsard' ? Bien, je préfère. Euh...donc nous nous sommes vus dimanche matin ; vous savez, la ville a fait restaurer les façades de maisons anciennes du centre-ville et ça faisait un bon sujet de promenade. Et puis nous avons mangé des sandwiches sur les quais de la Loire. Quand je suis partie il devait être 13h, ou 13h30 - grand maximum.
-Il vous a dit ce qu'il ferait après ?
-Non. Mais il parlait beaucoup d'un site dont il avait entendu parler cette semaine, un ancien champ de bataille de la guerre de 1870, il y est peut-être allé. Je ne sais pas.Constantin Chassepot sent d'un coup son intérêt monter d'un cran - tant pour la donzelle que pour l'affaire. 1870 encore ; il a toujours dans sa poche la balle subtilisée par mégarde au vieux.
-Vous ne pensez pas que certains des anciens élèves avec qui vous vous baladiez auraient pu y aller aussi ? Il me faudrait leurs coordonnées, on ne sait jamais.
-Ah, mais oui, c'est possible. Je vais vous donner leurs noms, et...oh, d'ailleurs l'un d'eux est mon patron à la boutique, vous verrez.
-Décidément, le monde est petit..."Il essaie de rester de marbre, et pourtant il rayonne. Les pièces de sa théorie se mettent en place ; certes, tout est encore très flou, la piste à peine embryonnaire. Certes, qu'il ait au moins autant envie de mettre sa suspecte dans son lit que de lui passer les menottes - voire les deux - n'est pas du tout régulier. Mais il espère pouvoir cloisonner tout ça, ne rien laisser transparaître. Ecarter (les cuisses de) Géraldine de la liste des suspects - complice, à la rigueur ? Et Marcelin qui sera sur les dents, qui pourrit déjà de soupçons, mais qui SURTOUT ne doit pas savoir, enfin pas tout de suite, pas avant la fin de l'enquête.
"Et, hem... Vous avez quelque chose de prévu, ce soir ?..."
(à suivre)
Gatrasz.
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