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Chassepot [Épisode 1]
Fond sonore : [ The Black Angels - Holland ]
9 Novembre 2014, 21H.
Le téléphone déchire le silence du salon ; Constantin Chassepot rampe hors de sa somnolence et franchit le canapé d'un bras qui lui paraît sans fin.
"Chassepot ?
-Oui, oui. Je suppose que c'est...
-Un meurtre, ouais. A priori. Ramenez-vous au 25, Rue des Tamarins.
-Je...ok"
Dix minutes après l'appel, Constantin roule à travers la ville. Orléans défile et s'efface derrière les phares, il n'y a jamais d'heure pour ces choses-là. Il le savait, quand il a passé le concours. Ce n'est pas sa première affaire, mais c'est la première fois qu'on le sonne en pleine nuit - un coup à prendre. Il freine en catastrophe quand deux agents surgissent dans le brouillard gras, un gyrophare dans leur dos - l'ambulance.
"On vous attendait, c'est à l'étage. Marcelin est en haut avec les gars du légiste"
Un petit pavillon sans âme, une haie touffue qui dissimule à moitié la sonnette ; Chassepot passe en trombe sans avoir le temps de lire le nom sur l'étiquette. Deux pièces vides. Dans l'escalier, encore un planton qui lui indique le chemin, hagard. Hé bien, ça doit être sale comme scène de crime pour que tout le monde fasse la gueule...
Marcelin le cueille dans l'encadrement -pour l'empêcher de voir.
"Ah, Chassepot. Vous avez fait vite.
-Euh, je...j'étais pas couché, alors...
-Bien, bien... Je vous préviens, c'est disons...peu commun. Sanglant, mais pas autant qu'on pouvait le penser. C'est juste bizarre. Blessures multiples, sans doute par balles mais pas d'impacts sur les murs, pas d'odeur de poudre...
-Il a été déplacé, non ?
Marcelin ricane, il est dans le coup depuis bientôt cinq ans.
-Bonne idée, Chassepot, vous la sortez d'où ? Le manuel d'investigation ? Sans déconner, ça tombe sous le sens, gamin, mais alors ça voudrait dire une foutue mise en scène. Allez voir."
Nerveux, Chassepot entre en rentrant les épaules. Petite chambre au papier peint vermoulu, odeur rance d'humidité, rien de très marquant au premier abord. Une armoire normande aux portes entrebaillées, un lit en fer. Le corps gît là, sous un drap avec la couverture ramenée aux pieds. Trop de chauffage, mais la fenêtre ouverte...
-On a pris des photos et on a ouvert, il faisait vachement chaud, braille Marcelin.
C'était un vieil homme ; enfin, pas si âgé, la soixantaine bien sonnée sans doute mais maigre et les cheveux blancs jusqu'aux épaules, visage émacié. Les mains crispées sur le bord du drap.
-Vous croyez qu'on l'a mis comme ça ?
-C'est pour ça que c'est bizarre. Les doigts serrés comme ça. On dirait qu'il souffrait, qu'il a serré. T'as vu les blessures ?
Le vouvoiement a disparu, comme d'habitude après 5 minutes ou dès la première bévue. Un bruit d'eau - Marcelin est dans le cabinet de toilette et lui parle tout en pissant. Charmant.
-Pas encore.
Chassepot fait un signe ; un assistant du légiste écarte le drap. Le corps de l'homme, en caleçon, est comme criblé de trous aux bords sombres, déchiquetés. Groupés au niveau de la poitrine.
-Tu vois gamin, dit Marcelin en entrant, les mains sur sa boucle de ceinture. Tout ça a dû arriver sans le drap, et ailleurs vu l'absence de sang. Glauque, comme mise en scène. Je sais pas comment ils lui ont mis le truc entre les doigts, le légiste nous expliquera ça quand il l'aura dépiauté.
-Mignon, comme image.
-Désolé, tu savais pas ? Il fait ça, le légiste quand on lui porte un macchabée, il...
-Laisse tomber. Pas d'empreintes sur le cadre ?
-Des tas. Mais comme on en retrouve le même jeu partout dans la baraque c'est sûrement les siennes, ça nous avance pas tellement. On verra...
-...ce que le légiste trouvera, oui, oui"
Il peut vraiment être con, Marcelin. Il avait probablement une nana chez lui au moment de l'appel, et il passe ses foutus nerfs. L'imaginer frustré fait sourire Chassepot tandis que les techniciens emportent le corps vers l'ambulance, direction la morgue. Quelque chose attire son regard sous le matelas mis à nu par l'enlèvement des draps - Constantin enfile des gants en latex, un genou au sol, retire de sous le lit une boîte en carton. Lourde, la boîte ; il l'ouvre avec précaution.
-C'est quoi ?
Il sursaute en entendant Marcelin derrière lui.
-Euh...de vieilles munitions. Le gars me fait l'effet d'un collectionneur. Il y a une pointe de casque prussien de 1870, des boucles de ceinturon, des balles de plomb...
-Des balles ? Un lien avec le crime ?
-Non, elles sont toutes oxydées, elles ont été tirées il y a un siècle et demi dans la campagne. Sur les champs de bataille on en trouve des tonnes, les clandestins s'en donnent à cœur joie.
-Il collectionnait les balles prussiennes donc.
-Non, celle-là sont françaises, ce sont des balles de fusil Chassepot.
-Pardon ?
-Oui, c'est mon arrière-grand-père qui a inventé le fusil qui équipait les français, ça lui a valu la Légion d'Honneur.
-Monsieur est célèbre ! Hé bien, Monsieur paiera le café en arrivant au poste, pour sa peine. Allons au trot, on a du boulot, Chassepot. Bang, bang !"
Il ponctue finement ses paroles d'un geste imitant le tir au fusil, et descend en trombe l'escalier. Constantin le suit en grommelant ; arrivant à sa voiture, il s'aperçoit qu'il a gardé une balle en plomb dans sa main ; haussant les épaules - il y en avait peut-être une centaine dans la boîte - il la met dans sa poche et s'installe au volant.
(à suivre)Gatrasz.
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Commentaires
Passionnant, j'attends la suite. Comment elle n'est pas écrite ? J'ajoute : merci d'avoir écrit plus gros, là je lis beaucoup mieux, sinon je n'y arrive pas, pense aux vieux !!