• Chili Pepper Crime Scene...

    Fond sonore : [Black Mountain - Rollercoaster]

     

    La bagnole noire et silencieuse du Capitaine Sinistre s'arrêta doucement près de la scène de crime. Le planton somnolent vit clignoter la lumière du briquet, une grande flamme qui venait lécher un visage dur, rasé de trois jours. C'était une légende, le Capitaine Sinistre ; tout le monde avait entendu parler de sa vieille manie. Allumer une clope dans sa voiture -une hybride- en arrivant sur les lieux ; deux bouffée qui cramaient la moitié de la cigarette qu'il écrasait ensuite sur le tableau de bord. "Ne pas polluer la scène de crime !" il disait, quand on le regardait de travers. Et il s'en allait rejoindre la victime déjà entourée de techniciens bourdonnant comme des photographes autour d'une starlette. Les mecs de l'identification finissaient de shooter le corps.

      "Bonsoir Albert. Le cadavre a dit quelque chose ?

    C'était sa petite phrase rituelle ; Albert avait fait l'Irak dans les service de renseignement. Sa spécialité : les interrogatoires, avec option médicalisée. Il cligna de l’œil, nerveusement.

     

    -Capitaine... Non, pas grand chose. Brûlé au dernier degré, restent les os calcinés,  caoutchouc, métal fondu et tout le tintouin. Habillé comme un plouc, si vous voulez mon avis. Homme, la petite trentaine on dirait. Je pencherais pour un rockeur ou pour un mafioso, à ce stade de l'enquête.

    -Pourquoi ?

    -Résidus de plastique autour des yeux. Ce naze devait porter des lunettes de soleil ; les aiguilles de la montre ont fondu sur 23h17 et nous sommes en novembre, je ne vois qu'un Blues Brother à la manque ou un truand rital pour arborer ce look de merde en pleine nuit à cette période de l'année...

    Albert s'interrompit ; le Capitaine s'agenouillait près de lui, ôtant ses Ray Ban et fixant le squelette noirci.

    -Vous en faîtes pas Albert, moi c'est différent, j'ai les yeux extrêmement sensibles, c'est pour ça que je me coltine ces accessoires. Mais je suis d'accord avec vous, c'est très naze. Rien d'autre ? Cause de la mort, tout ça ?

    -Je ne peux pas encore être sûr, mon Capitaine, mais quelque chose me dit que le poignard fiché entre deux côtes au niveau du cœur y est pour quelque chose. Évidemment, ça n'exclut pas l'empoisonnement ou la rupture d'anévrisme, mais vu l'état du corps on devra se passer d'analyses, malheureusement.

    -C'est bien dommage..."

    Le Capitaine se releva, pensif ; chaussant de nouveau ses lunettes noires, il braqua son attention sur le groupe de policiers qui prenaient des notes un peu plus loin. Marcia Edwards scintillait au milieu d'eux... Albert sentit qu'il était temps d'intervenir s'il ne voulait pas laisser passer sa chance :

     

    -Euh...j'ai aussi remarqué autre chose qui pourrait avoir son importance...

    Sinistre arracha son regard à la contemplation de sa jeune subalterne et fixa le technicien.

    -Quoi ?

    -Hem...j'ai relevé sur une côte ce qui ressemble à des marques de dents. Voyez, ici, ici, et encore là ; et de petites marques alignées, en pointillés...

    -Une fourchette, c'est ça ?

    -Oui Monsieur. Et j'ai encore un détail qui me turlupine.

    -Bordel, accouchez Albert ! Si j'ai envie de passer la nuit avec quelqu'un ici, c'est certainement pas ce type qui sent le roussi à un kilomètre, et encore moins vous !

    -Hé bien, comme vous savez, j'ai travaillé quelques mois comme cuistot dans un restaurant à Bâton-Rouge avant de passer mon diplôme en médecine médico-légale. J'étais plutôt calé dans la préparation du gumbo aux crevettes, soit dit en passant... Enfin bref, je m'y connais un peu en épices et j'ai noté sur cet os un petit...bon, c'est subtil mais je suis assez sûr de moi, je me prononcerai donc pour...hem, un léger goût de piment d'Espelette.

    -Le tueur serait un cannibale venu de la Louisiane, alors ?

    -Non Capitaine, c'est pire : Espelette, c'est en France, dans le pays basque exactement.

    -Ah, bon sang, un Français ! Je savais qu'on finirait un jour par avoir une de ces ordures sur les bras ! Albert, c'est un détail capital que vous avez là ; et je ne vous cacherai pas que ça m'emmerde. Va falloir le cacher à la presse, je ne veux pas de mouvement de panique en ville tant qu'on aura pas un visuel confirmé de cet individu. Des chances de choper son ADN, à cette saloperie ?

    -A mon avis chef, c'est cuit...

    -Je parle du tueur, Albert.

    -Ah ! Pardon. Bon, c'est pas mal mâchouillé donc oui, de la salive a dû imprégner les bouts d'os. Je vais faire des prélèvements supplémentaires..."

     

    Le Capitaine se leva et serra les poings ; les affaires sordides, il en avait l'habitude. Par contre, la petite blonde, Edwards, n’était plus en vue, et il enrageait - il avait bien l'intention de faire valoir sa carrière longue comme le bras pour se la faire avant tous les autres connards de l'unité. Certes, c'était une entorse au règlement ; mais un homme reste un homme, surtout quand on s'est enquillé quelques verres après le service. Ce soir, qui plus est, il avait particulièrement envie de baiser autre chose que la poupée gonflable offerte par les autres gradés du poste, à l'époque  de son premier divorce. Il avisa une journaliste, petite rousse qu'il avait déjà vue deux ou trois fois sur de précédentes affaires, en train de lutter avec deux agents pour franchir le ruban bicolore. A la rigueur, il y aurait peut-être moyen de s'arranger, elle aurait son scoop...

     

    Il s'éloignait déjà vers sa prochaine victime ; Albert le vit soudain s'arrêter. Se retourner vers lui et le macchabée :

    "Euh, au fait Albert, dîtes-moi : vous l'avez détecté comment, ce petit goût de piment sur les os ?"

    FIN 

     

    Gatrasz.


  • Commentaires

    1
    Samedi 20 Octobre 2012 à 06:40
    Tsss ! Le capitaine devrait savoir...
    ... que des goûts et des couleurs, on ne discute pas ! Albert a sûrement dû vouloir pimenter un peu son train-train quotidien ! :~)
    2
    Samedi 20 Octobre 2012 à 10:38
    le béret
    Le capitaine eût un gros doute... Albert ne portait-il pas un béret ? Et de plus la baguette qu'il tenait sous son bras ?
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